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Riga • Le réaménagement d’un port international, ou l’adaptabilité de l’action publique collective.


Par Edouard Pontoizeau, M. Sc. en science politique de l'Université de Montréal et coordonnateur du Réseau québécois d'études post-soviétiques

Vue panoramique du centre-ville de Riga (©Gilly/Unsplash, Berlin)

Cet article propose d’analyser dans un cadre différent de celui de Bakou, un ensemble portuaire stratégique très ancien. Désormais, elle est la capitale d’un pays membre de l’Union européenne, et qui plus est d’une démocratie libérale. Nous tenterons de saisir l’importance historique, économique et stratégique de ce port, reconnu pour être un miracle économique.


Dans un premier temps, nous ferons appel à l’histoire pour replacer dans son contexte le développement d’un port dont les activités semblent résolument tournées vers les exportations, ceci malgré un passé soviétique ayant façonné l’économie lettone contemporaine.

Dans un second temps, il s’agira de développer la notion d’innovation propre au port de Riga, en analysant les caractéristiques techniques et organisationnelles de ce hub et en évoquant bien entendu son positionnement stratégique.


Nous ferons appel à plusieurs auteurs. Tout d’abord Wladimir Andreff [1] pour ce qui a trait à la compréhension d’une économie de transition. Concernant l’axe d’étude sur l’amélioration des infrastructures de transport, nous ferons appel à Philippe Aghion et Mark Schankerman [2] pour compléter l’analyse macro-économique d’Andreff, et les répercussions des politiques de transport dans une économie tournée vers la dynamique régionale. Enfin, immanquablement, il s’agira de faire appel à Niklas Luhmann [3] pour ce qui a trait aux systèmes sociaux façonnant l’environnement institutionnel et socio-économique. Quant aux données liées au cas d’étude, la documentation des organismes gouvernementaux, notamment l’OCDE et de la Commission européenne, seront les sources principalement utilisées pour cette démonstration.


L’intérêt conceptuel et méthodologique du cas d’étude de Riga se situe au niveau de l’aptitude de la Lettonie à réorienter son économie, empreinte à la fois d’un lourd passé communiste et d’un libéralisme débridé durant les années 1990 et 2000 [4]. Nous sommes en présence d’un cas encore plus « typique » d’un port postsoviétique qu’Odessa et Bakou, faisant eux-mêmes figures d’exception en réalité. Il s’agit d’analyser la capacité du port de Riga à demeurer un cœur économique régional, ceci malgré les différents épisodes de transition et de crises économiques. De ce fait, nous analyserons l’action publique collective, qui pourrait prendre une forme bien particulière dans ce contexte national, régional et international précis [5].


Toutes ces analyses étayeront l’hypothèse principale que la cohérence de l’action publique collective réside dans l’appui à la modernisation des infrastructures portuaires et des transports environnants, visant notamment à 1) Rendre compétitifs les produits lettons à l’exportation, constituant une part significative de l’économie nationale, 2) Reconstituer un axe commercial ayant la mer Baltique comme interface principale, voire diversifier les sources de revenus.


Nous prendrons une théorie du développement davantage liée au champ économique de la transitologie. Wladimir Andreff semble tout désigner pour cerner les enjeux de la transition économique que l’économie lettone, dont le port de Riga est le fer de lance, a dû effectuer afin de redevenir le cœur de l’axe baltique.


Pour ce qui a trait à l’apport de Wladimir Andreff, la notion de cohérence de l’action publique prend tout son sens lorsqu’il s’agit d’intégrer les concepts de politique publique d’infrastructure dans un contexte où leurs mises à niveau et les innovations autour des infrastructures sont vitales pour l’ensemble des acteurs nationaux et locaux.


Une question brève pour nous lancer dans le vif du sujet : comment Riga est redevenue un port majeur en mer Baltique ?


Riga, ou la renaissance d’un port

Riga, ce port ayant marqué depuis des millénaires le commerce européen… En effet, il faut remonter à l’Antiquité pour entendre parler de la baie de Riga et de ces artisans d’ambres [6]. Tacite évoque dans ses récits sur la Germanie l’existence d’un peuple particulièrement habile avec cet ambre, résine convoitée dans le monde entier… y compris à Rome [7].

Cependant, il est bien de se séparer de cette idée propre à Tacite du mythe du « bon sauvage bucolique » [8], et de s’attarder sur l’ancrage du commerce maritime dans cette région de Riga. Cet ancrage est une forme d’atavisme qui traverse les siècles jusqu’au début de l’ère chrétienne, alors que le territoire letton est un véritable carrefour d’échanges commerciaux. Il s’agit d’un point de passage empruntant des routes similaires à celles de la « route des Varègues aux Grecs » de l’Antiquité [9]. Les traditions commerciales de la Lettonie tournées vers le commerce du bois de la fourrure font de ce pays un des points d’ancrage majeurs du commerce régional.

Nous pouvons ainsi parler de « renaissance » du port de Riga. La ville telle que connue actuellement, en tant que capitale de la Lettonie, a été fondée en 1201 en tentant de concentrer ce dynamisme économique [10]. Elle est rapidement devenue l’un des centres marchands les plus dynamiques de la Ligue hanséatique.


La position du port de Riga dans l’édification de l’économie lettone postsoviétique est essentielle. Riga est la deuxième plus grande ville sur la mer Baltique et abrite en son sein un port d’une importance primordiale pour les exportations [11]. Bien qu’il soit récurrent de surnommer la Lettonie de « Tigre de la Baltique », ce pays n’est peuplé que de 2 millions d’habitants, l’économie intérieure lettone demeure peu attractive par la faiblesse de son bassin de consommation [12]. Une large partie des revenus est tirée des exportations vers les autres pays de l’Union européenne. L’économie lettone est, de facto, résolument tournée vers l’interface qu’offre la mer Baltique, pour des raisons historiques et pragmatiques qu’il s’agira de développer dans ce papier.


Une transition économique tournée vers l’Europe

En effet, la Lettonie a connu récemment quelques périodes d’instabilité économique. La transition économique et politique postcommuniste a été particulièrement délicate et marque encore au fer rouge la société lettone, dont les douloureuses fractures sociales se font encore largement ressentir [13]. La crise de 2008–2009 a elle aussi arrêté brutalement la reprise économique des années 2000 et plongée de nouveau le pays dans une crise dont elle peine encore à sortir. L’économie lettone se retrouva donc à plusieurs reprises dans une situation socio-économique chaotique, avec un chômage dépassant souvent les 20% de la population active [14].

Aussi, l’économie lettone était très ancrée dans le modèle de production collectif de l’URSS, comme de nombreuses ex-républiques soviétiques, et se trouvait être un maillon important des exportations en matières premières [15].



Tenant compte de la situation géographique favorable de la Lettonie, cet intérêt est soutenu par l’accessibilité des transports et de ses infrastructures de logistique [16]. L’ensemble portuaire Riga-Liepaja est libre de glaces y compris durant l’hiver, et bénéficie d’un réseau routier et de chemins de fer relativement modernes, relié à l’aéroport le plus important et le plus moderne de la région [17]. Nous nous focaliserons d’ailleurs sur le réseau ferroviaire dans la zone intermodale du port de Riga.


Il a depuis été le plus grand port commercial de l’ensemble des pays baltes, notamment grâce aux itinéraires commerciaux importants de l’Europe du Nord [18]. La particularité se situe au niveau de l’adaptabilité du système de transport autour du port autant pour le marché européen que le marché russe. Cependant, et cela figure dans de nombreuses analyses, les tensions diplomatiques entre Bruxelles et Moscou sur le conflit en Ukraine provoquent un ralentissement substantiel du commerce entre la CEI et l’Union européenne [19].


L’aperçu historique étant fait, il est désormais pertinent de s’attarder sur la façon dont les acteurs locaux, régionaux et internationaux ont su se coordonner afin de mettre en œuvre cette transition institutionnelle et stratégique.


L’innovation portuaire.
  • L’intermodalité et la compatibilité des systèmes de transport du pays.

Riga s’est modernisée de façon continue à l’époque soviétique en devenant le débouché principal des exportations soviétiques vers les pays des mers du nord. Par conséquent, l’ensemble de la zone portuaire de Riga avait une compatibilité double en termes de transport [20].


Au niveau des quais de terminaux, les standards européens étaient déjà inclus dans la constitution des infrastructures préexistantes. Les cargos européens amarraient souvent à Riga pour le transport de matières premières (le bois et les minerais notamment) [21].


S’ensuit dans les années 1990 et 2000 une profonde transformation du réseau portuaire, qui peut être attribuée à deux événements. D’une part, à la chute des économies post-soviétiques (en particulier la Russie), et d’autre part la désindustrialisation générale observée des pays de l’OCDE et donc à la baisse importante du transit général sur la Mer Baltique [22]. Cela a de facto engendré une forte compétition des ports de la Baltique orientale [23].


L’ensemble du patrimoine portuaire letton s’appuie sur la compatibilité avec le système ferroviaire et routier russe, et assure ainsi la proximité des marchés russes et de la CEI ainsi que de l’Asie de l’Est [24]. S’ajoute à cela l’implémentation du nouveau système de compatibilité européen, permettant d’intermodalité des circuits de transports [25]. La spécificité du port de Riga réside donc tout d’abord dans une intermodalité doublement stratégique qu’elle tend à préserver, voire à améliorer.


Au regard d’un passé économique largement tourné vers les républiques postsoviétiques, les autorités lettones ont choisi de ne pas se défaire complètement de cet héritage [26]. Il s’agissait d’implémenter les politiques de standardisation des voies de transports européennes tout en préservant les voies existantes, afin de devenir une zone de transit privilégiée entre deux régions du monde [27].


Par intermodalité, il est entendu ici de parler d’interchangeabilité des réseaux de transport et de les rendre effectifs pour des standards différents [28]. Par exemple, le réseau ferroviaire est devenu largement électrifié sur l’ensemble de la Lettonie, et ainsi compatible avec l’ensemble des réseaux européens [29]. Il ne s’agit pas là de normes par pure envie de modernisme, mais bien d’une réalité dans le secteur des transports, puisque les trains de fret européens ne fonctionnent plus que sur les réseaux électrifiés [30].


L’action publique collective est ici reliée néanmoins à un path dependency incontournable. En effet, bien que les institutions aient changé fondamentalement comme nous allons le voir, il est difficile de ne pas prendre en compte les « sentiers balisés » ayant façonné les infrastructures de transport hérité de l’URSS. Ainsi, le port de Riga est directement lié à la quasi-totalité du réseau ferroviaire letton et, de ce fait, aux réseaux ferroviaires internationaux (Russie, Estonie et Lituanie) depuis la période soviétique [31].


Comme mentionné au début de cet article, la Lettonie est un pays qui a développé des activités économiques spécifiques depuis des siècles [32]. Le secteur de la sylviculture, des minerais (fer notamment) et l’agriculture ont encore un attrait certain [33], en témoigne les entreprises dynamiques de sylviculture s’installent dans la zone franche du port de Riga [34]. Par conséquent, on constate ici un hinterland puissant soutenant le développement des infrastructures portuaires pour regagner la compétitivité d’antan [35] [36]. Comme l’illustre la carte ci-dessous [37], ce projet de hub se centre depuis le début des années 2000 sur Riga, et s’inscrit sur trois échelles : 1) Internationale, 2) Régionale, 3) Municipale.



  • Élargissements et spécialisations des activités portuaires

Nous voyons ici deux éléments se développant consécutivement.

  1. Un hinterland avec un certain potentiel économique déjà éprouvé.

  2. Un port déjà relativement bien connecté et pouvant exporter les produits de ce même hinterland à l’international.

Ce modèle, très simple somme toute, s’est concrétisé à travers les politiques d’aménagements et de transports comme nous l’avons vu, mais aussi par la stimulation de secteurs économiques à Riga même. Ce point est essentiel, puisqu’il permet de comprendre la diversification économique entamée depuis les années 2000 et surtout 2010 en Lettonie [38].


Le port de Riga constitue la pierre angulaire de la stratégie globale du développement économique récent de la Lettonie. La notion de transition économique est ici également centrale. À la suite de la dislocation de l’URSS, la Fédération de Russie a transféré de nombreuses activités à Saint-Pétersbourg, dont la majorité des terminaux pétroliers et la raffinerie. Il ne reste encore qu’un centre de dépôt pétrolier ayant une capacité de stockage de 30 100 m3 [39].

La reconversion économique du port de Riga est un point qu’il est utile d’aborder dans le cadre de l’étude de cas, ainsi que la reconfiguration de l’économie du littoral.

L’exemple à la fois le plus récent et le plus probant est justement la zone logistique de Riga [40].


Plusieurs particularités sont à développer ici.

D’une part, le choix a été porté sur la constitution d’une « zone franche » limitée afin de « faciliter l’implémentation d’infrastructures industrielles et de centres logistiques » dans la ZIP internationale de Riga [41]. Cela se concrétise par une législation beaucoup plus souple et une absence d’imposition de l’État et des localités (d’où la coordination avec les communes alentour) pour ce qui a trait aux activités sur le site [42]. Nous verrons les bénéfices tirés pas les localités et surtout l’ingénierie institutionnelle dont il a été fait preuve dans ce cadre précis. Ainsi, le plan structurel de Riga 2014–2020 reflète également la localisation des principaux territoires de développement de la logistique et de la fabrication, marquant ainsi le caractère spécifique et la direction de développement souhaitée de ces territoires.

D’autre part, la diversité des secteurs économiques stimulés par le port, et dont un certain nombre ont établi des entrepôts dans la zone franche ou ont des concessions/droits d’exploitation de la zone franche. C’est le cas de l’agriculture [43], du bois [44], des métaux [45], de la pêche [46] et des matériaux de construction [47] notamment, secteurs largement représentés dans les archives du port de Riga.


Les chiffres sont d’ailleurs éloquents quant au succès de cette stratégie : “Overall, 23.73 million tons were handled in the dry bulk segment in 2014 that is by 10% or 2.16 million tons more than during the previous reporting period[48].

Toujours dans la zone franche portuaire, de l’autre bord de la rive, dans le « district nord », se trouvent les sièges des compagnies les plus importantes dans le domaine des NTIC des pays baltes. Il s’agit d’un pôle technologique qui illustre le contraste de la transition économique entre les anciennes industries soviétiques de l’est de la Lettonie et le nouveau hub promouvant les secteurs d’activités prenant place dans le paysage économique letton [49].


  • La décentralisation des activités portuaires

Enfin, il est à noter que le port de Riga a délocalisé une partie de ses activités entre 2007 et 2013. De la même manière que dans la plupart des ports européens (et qu’Odessa et Bakou comme nous avons vu dans les précédents cas d’études), les grands ports ont souvent comme stratégie de sectionner les quais de terminaux selon les produits exportés [50]. Ce projet implique le déplacement des activités de fret du port de Riga vers un nouveau site à Krievu Sala, à quelque 10 km au nord du centre de Riga et plus proche de la haute mer. De nouveaux postes de mouillage et les infrastructures portuaires nécessaires seront installés à Krievu Sala pour accueillir les chargements en vrac de charbon et d’autres marchandises, comme le minerai de fer [51].


L’intérêt ici est de déconcentrer les activités afin d’améliorer les politiques de transports urbains, et ainsi garantir le développement durable du centre urbain et portuaire [52]. C’est en grande partie pour cela que la coopération entre différents échelons de décisions locales, comme nous le verrons dans la dernière partie, est centrale.


C’est ainsi que la théorie de Philippe Aghion et Mark Schankerman dans « A Model Of Market-Enhancing Infrastructure », stipulant que les effets relatifs sur le bien-être de la réduction des coûts de transport, de restructuration et d’entrée permettent des gains de compétitivité souvent cruciaux [53], est bien vérifiée. Le pari du port de Riga et les services de transports annexes furent pertinents, puisqu’il s’agit d’infrastructures qui ont amélioré considérablement l’attractivité du pôle commercial.


En somme, le mot d’ordre pour le Riga City Council est : “Facilitate the development of industry and logistics centres in the territory of the Freeport”, en promouvant les transports et les zones logistiques, l’industrie du design, des NTIC et surtout des manufacturiers (métal, bois et machines) à l’échelle internationale [54] [55].


Tous ces facteurs résident sur une volonté politique qu’il s’agit désormais de développer, notamment au travers de l’action publique collective des acteurs internationaux, régionaux et locaux, allant de l’Union européenne au Riga City Council.


La cohérence de l’action publique collective /politique de l’autogestion et interaction accrue des acteurs locaux et internationaux.

En reprenant notre méthode habituelle : voici trois éléments permettent d’expliquer cette reconversion et ascension économique de la zone portuaire de Riga : 1) le processus décisionnel, 2) la disponibilité des fonds et 3) le croisement des intérêts internationaux et locaux.


Wladimir Andreff, en citant justement ce papier d’Aghion et Schankerman, ajoute que la pertinence de ce cadre d’analyse, dans le cas des États postsoviétiques, réside dans la capacité de certains de ces pays à poursuivre leur transition économique en se reposant sur les infrastructures préexistantes, et en les adaptant aux règles du marché qui incombent leur économie [56]. Ainsi, l’adaptation des infrastructures portuaires et ferroviaires semble, comme nous avons pu le constater précédemment, la pierre angulaire de l’action publique nationale.

L’action publique nationale se traduit ici par l’établissement d’une nouvelle législation, ceci en accord avec Bruxelles. La constitution d’une zone franche et la réimplantation d’activités industrielles et logistiques (souvent à fortes valeurs ajoutées) sont le fait d’une action publique collective ingénieuse [57].


  • L’action publique/politique nationale/locale.

Dans le sens d’ « action publique », la Lettonie a en effet rapidement compris que certaines stratégies se sont avérées payantes dans la restructuration territoriale de la captation des flux de transport maritime.


Il s’agit d’une véritable coordination faisant appel à une concertation entre les communes alentour, l’État letton et des compagnies manifestant un intérêt pour cette zone [58] [59] [60] [61] [62]. Pour ce qui a trait aux activités sur ce site, elles bénéficient d’allègements fiscaux considérables en plus d’un accès privilégié aux quais de terminaux [63]. Le Riga City Council, composé de 60 membres et étant l’instigateur des projets de Riga 2014–2020 et Riga 2030, ne cesse de former des coalitions d’actions publiques [64].

Le Riga City Council peut se traduire par la municipalité, qui élabore des outils de soutien économique de l’environnement urbain afin de revitaliser les anciens territoires de fabrication et actuellement dégradés et de réactiver l’esprit d’entreprise dans ces zones. Concrètement, elle met à disposition un nombre important d’informations, de données et surtout de cartographie [65].


Aussi, il propose des stratégies politiques et économiques pour ce qui a trait à la cohésion du territoire en donnant une vue d’ensemble de la région métropolitaine de Riga.

Cela s’est illustré par une volonté de déconcentration et la décentralisation des activités portuaires vers des plus petites entités spécialisées [66].

Il y a ainsi trois éléments de cohérence de l’action publique à noter :

  1. Le pragmatisme visant à profiter d’une situation géographique et d’infrastructures préexistantes à rénover.

  2. La diversification des activités visant à spécialiser les zones de transits tout en les rendant attractifs à années longues (pêche l’hiver, tourisme l’été).

  3. L’innovation technique afin d’augmenter la compétitivité industrielle lettone.

La spécialisation des quais de terminaux s’est opérée de façon à ce que les zones intermodales pour dynamiser ainsi plusieurs localités selon des secteurs d’activité particulières.


Cela répond à trois points stratégiques de l’action publique politique lettone :

  1. Éviter de surcharger les zones marchandes afin de fluidifier le trafic de fret (maritime et ferroviaire) tout en facilitant l’appareil logistique [67].

  2. L’interchangeabilité des activités portuaires avec des sites portuaires connexes et une zone portuaire abritant des activités diversifiées, et ayant accès aux services du port [68].

  3. La création d’une « zone franche » limitée afin de reconstituer un tissu industriel [69].

L’action publique détermine une politique de modernisation des transports (électrification des réseaux ferroviaires/mécanisation et informatisation des zones intermodales) pour augmenter le volume [70] et constituer un environnement global pour les compagnies [71].


Enfin, pour relier à ce qui était énoncé dans les parties précédentes, l’imbrication des zones portuaires et la complémentarité des secteurs mis en avant dans ces « extensions » portuaires semblent être une stratégie payante, peu coûteuse, efficace et très sensée aux vues de la configuration géographique du pays.


L’action publique collective se situe ici dans une « collaboration étroite entre les localités proches du port » qui se sont entendu sur une façon d’aménager et de mettre à disposition les ressources nécessaires afin de mettre à bien ce projet. Ces ressources sont à la fois la mise à disposition des données (savoir), de réseaux de travail et d’entreprises (social), et surtout la disponibilisation de terrains (ressources domaniales) [72].


Comment dans le cas de la délocalisation de certaines activités portuaires [73], l’objectif était (et est encore) double. Il s’agit de redynamiser ou installer des zones résidentielles, et d’établir une nouvelle feuille de route quant à la réimplantation d’industries compétitives dans la zone franche [74].


  • La disponibilité des fonds et le croisement d’intérêts internationaux/locaux et l’autonomisation du port.

L’Union européenne est la première intéressée par les changements opérés dans les pays baltes, en particulier dans la recherche d’intégration économique et politique. Suivant la doctrine néolibérale d’intégration des nouveaux pays indépendants postsoviétiques, Bruxelles a mis rapidement en place des politiques de rapprochements économiques en poussant les activités de la Lettonie vers le marché européen. Cela se traduit évidemment par l’amélioration du climat des affaires (réduction de la corruption, facilitation des démarches administratives dans les zones économiques stratégiques, etc.), et par d’importants investissements dans le secteur du transport. La finalité est de standardiser les voies de transports entre les pays baltes pour les tourner vers les pays d’Europe septentrionale.

Concrètement, et pour donner un ordre de grandeur significatif sur l’implication de l’Union européenne, presque 150 millions d’euros auraient été investis dans le programme d’extension du port de 2007–2013 dont il a été fait mention plus haut, dont près de 91 millions d’euros directement par l’Union européenne, selon les estimations de l’époque [75]. Cet investissement important de l’Union européenne dans des stratégies de revitalisation et de la valorisation de l’interface maritime.


Autre point, pour donner là aussi un ordre de grandeur, les actifs fixes du Port de Riga s’élèvent à approximativement 400 millions d’euros [76]. Cela comprend l’ensemble des terrains, bâtiments, quais, grues, zones d’entreposages, etc. appartenant au port de Riga. S’ajoute à cela un autre exemple tout à fait illustratif de cette dynamique d’action collective intégrant acteurs internationaux et locaux. Le nouveau nœud multimodal du port franc de Riga (port, aéroport, gares et plateformes logistiques) appartenant à divers acteurs dont le port de Riga lui-même, est au cœur de la dynamique du port [carte ci-dessous] [77]. Celui-ci a démarré en 2016 et a levé prêt de 10.20 millions d’euros auprès d’investisseurs privés en un an sur les 34 millions d’euros nécessaires [78].



Les intérêts croisés se forment autour d’un projet commun, ayant pour but de satisfaire du mieux possible l’ensemble des acteurs se joignant au projet, et collaborant à une nouvelle forme de gouvernance. Celle-ci est sous le contrôle d’un État stratège associant des partenaires très divers.

C’est à partir de ces éléments que nous parlons d’un projet stratégique national incluant l’ensemble des zones évoquées précédemment, constituant une zone économique dense et d’une efficacité technique, énergétique et économique redoutable. La « transversalité » c’est-à-dire dans l’offre de services industriels bénéficiant à plusieurs chaînes de valeur, semble convenir parfaitement aux partenaires commerciaux que sont les compagnies lettones, européennes et russes en majeure partie.


La croissance importante du volume de marchandises circulant à Riga semble en tout cas devoir faire réfléchir sur un mode de fonctionnement relativement adéquat aux différents marchés qu’offrent d’importants partenaires économiques. La question est davantage politique que technique, car ce process induit une prise de conscience de l’espace géographique à mettre en valeur, et un travail de fond pour faire cheminer de tels projets. Une telle stimulation économique ne peut s’effectuer qu’avec un stimulus politique audacieux et créatif, impliquant différentes échelles de décisions et surtout différents intérêts se croisant autour d’un projet tout à la fois dynamique et consensuel [79].


Cette dynamique se trouve être aussi en partenariat avec de nombreuses entreprises locales comme nous avons pu le voir précédemment.

Les associations d’entrepreneurs, les corps de métiers et les entreprises forment une coalition d’acteurs politiques par la force de leur réseau, et donc leur capacité de peser sur les décisions liées au port [80]. Contrairement à Bakou, par exemple, nous n’avons pas un État ayant la main mise sur une large partie des décisions à prendre, mais un Conseil de la ville de Riga (Riga City Council) qui tend à intégrer démocratiquement l’ensemble des acteurs locaux étant affectés, ou agissant sur la gestion de ce nœud stratégique [81].


Aussi, on observe dans le cas de Riga un retour à une véritable architecture économique se tournant vers l’exportation de biens. Est-il possible de dire qu’une forme d’atavisme s’est opérée, significatif d’un retour à une économie plus en phase avec les traditions commerciales pré-soviétiques ? Il est fort probable, car le savoir-faire dans les domaines d’activités forts à Riga (à l’exception des nouvelles technologies) se trouvait être en fait l’apanage de cette ville depuis des siècles [82].


En fin de compte, ce port pourrait-être l’illustration d’une réussite à l’intégration européenne, tout en étant une synthèse de la résilience d’une société profondément tournée vers l’Europe et le commerce et l’économie de marché actuelle. Une résilience qui peut être aisément comparée à un « sous-système » capable de se reconstituer peu importe dans quel environnement celui-ci a vécu [83].

Néanmoins, une limite importante semble se constituer dans le cadre de ce travail. La constitution d’un équilibre géoéconomique entre le port de Riga et le géant russe semble difficile à consolider.


Le type de production et la nature des transits de marchandises ont été bouleversés par la nouvelle donne géopolitique post-URSS. L’Est de la Lettonie est la première région à avoir subi les effets du changement de tracé du transit des matières premières venant de Russie, et dont une large partie de l’industrie lettone profitait (notamment l’industrie lourde).


L’Est est exclu géographiquement de la nouvelle stratégie économique de la Lettonie, résolument tournée vers la mer Baltique et l’Union européenne. L’hinterland letton se compose à la fois d’une économie peu encline à se moderniser (agriculture et industrie ancrée dans le schéma « planifié »), et d’une faible attractivité territoriale. On constate ici une réduction continue du capital humain et d’une faible capacité d’intégration à la mondialisation. Dernier point à ajouter, la population y est majoritairement russophone et liée à une histoire politique et économique aujourd’hui révolue, et dont ils peinent à sortir.


Le principal constat qui marque l’hinterland letton est en somme la présence d’un fort taux de chômage de longue durée, s’apparentant à ce que Edmund Phelps appelle une « hystérèse du chômage ». Selon Wladimir Andreff, il n’est pas rare d’observer cela dans un contexte où l’industrie était clairement imbriquée au modèle de production soviétique, qui est depuis tombée en désuétude de façon brutale et quasi irrémédiable [84].


En conclusion, cette étude de cas souligne un design institutionnel innovant. La cohérence de l’action publique est donc une variable majeure de la réussite effective du complexe industrialo-portuaire de Riga. Cette cohérence s’inscrit dans une souplesse des cadres légaux et politiques afin d’arriver à un compromis allant dans le sens de l’intérêt de l’ensemble des agents économiques. L’attractivité de ce port est ainsi le produit d’un très bon climat d’affaires dans lequel le gouvernement s’implique efficacement (action publique), de façon crédible (apports de capitaux importants), et dans un contexte international offrant une fenêtre d’opportunité à saisir de manière stratégique (action collective internationale).


 

Bibliographie

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