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Élections dans l’espace post-soviétique: commentaires sur les enjeux électoraux 2020 de la région


Par Maxime Belin, M. Sc. en science politique de l'Université de Montréal.

Dépouillement des bulletins lors des législatives tadjikes de 2020 / ©REUTERS — Nozim Kalandarov

Pour l’année 2020, le Réseau québécois d’études post-soviétiques vous propose un bref aperçu des scrutins passés et de ceux qui auront lieu dans l’espace post-soviétique avec les enjeux électoraux et les scénarios possibles.


Ouzbékistan. Élections législatives, 5 janvier. Les électeurs ouzbeks furent appelés aux urnes en ce début d’année 2020 après un premier tour en décembre 2019 pour élire les parlementaires de la Chambre législative (Oli Majlis). Les 150 sièges étaient remis en jeu, mais les résultats ne faisaient guère de doute. En effet, comme l’avait fait remarquer l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) dans un communiqué : “tous les partis soutiennent les politiques du président (…), les électeurs n’avaient pas vraiment de choix” [1]. Et excepté de légères variations, la distribution des sièges ressemble à la précédente mandature avec 53 sièges pour le Parti libéral-démocrate, la principale formation pro-pouvoir [2]. Les 4 autres formations en lices se partageant le reste des sièges parlementaires sans impact réel sur la vie démocratique du pays puisque tous les partis soutiennent la politique présidentielle. Néanmoins, après son arrivée au pouvoir en 2016, Shavkat Mirziyoyev avait entamé quelques réformes qui avaient conduit la communauté internationale à parler de perestroïka en Ouzbékistan [3]. Il était peu probable que cela se traduise dans l’immédiat par des élections libres. Toutefois, le président Mirziyoyev avait appelé les partis en course à se différencier et à faire une réelle campagne électorale; ce qui pourrait ouvrir la voie à plus d’autonomie voir à l’émergence de voix discordantes pour les prochaines élections.

Azerbaïdjan. Élections législatives, 9 février. Les résultats ne faisaient que peu de doute dans ce pays qui s’inscrit dans un pouvoir “monarchique” caractérisé par le népotisme, l’hérédité et la concentration des pouvoirs autour de la famille Aliyev [4]. Les électeurs étaient appelés à se rendre aux urnes pour renouveler les 125 membres de l’Assemblée nationale dissoute en décembre dernier afin d’insuffler un nouveau rythme dans les réformes socio-économiques entamées dans le pays et de faire émerger une nouvelle génération de politiciens. Comme le scénario le laissait présager, le parti au pouvoir Yeni Azerbaïdjan a remporté les élections en obtenant la majorité des sièges. Si en apparence le pays semblait présenter un réel jeu politique avec 19 partis politiques en lice pour plus de 1300 candidats (dont 21% de femmes) et joue une transparence en autorisant des observateurs internationaux ou en installant des caméras de surveillance de certains bureaux électoraux, la réalité semblait tout autre [5]. Tout d’abord, le taux de participation avoisinait les 48% et démontrait un désintérêt de la population vis-à-vis d’élections “pipées”. En effet, lors de ce scrutin, de nombreux doutes subsistaient sur des fraudes pouvant s’être déroulées dans tout le pays [6]. Les fraudes viseraient à assurer une majorité au président Aliyev et à la sélection de candidats servant les intérêts du régime en place. Et ce, malgré la présence des observateurs internationaux qui n’étaient in fine que des alibis pour que le pouvoir azéri puisse présenter une façade d’ouverture.

Tadjikistan. Élections législatives, 1er mars. Comme la plupart des autres États post-soviétiques d’Asie centrale, le Tadjikistan est considéré comme un régime autoritaire où des opposants et des journalistes peuvent être la cible de répressions en cas de propos jugés désagréables pour le président Emomalii Rahmon, qui se trouve à la tête de l’État depuis plus de 27 ans. Le chef de l’exécutif s’appuie sur un parlement bicaméral. Lors de ces législatives, uniquement les sièges de la Chambre basse seront en jeu avec un système hybride puisque deux modes de scrutin co-existent pour désigner chacun une partie des représentants. Même si des partis politiques d’opposition sont dans la capacité d’avoir des élus, ils ne sont qu’une façade pour créer un semblant de débat démocratique avec l’autorisation du pouvoir en place. Toutefois, en dehors de l’absence d’enjeu sur la composition de l’Assemblée, son rôle sera déterminant dans la conduite de la politique du pays et dans ses possibilités à conseiller le président. Douchanbé (la capitale du pays) doit faire face à plusieurs crises comme un accroissement de partisans de l’État islamique sur son territoire [7], un échec de sa politique touristique et des tensions territoriales avec le Kirghizistan [8] — bien que de récentes négociations puissent aboutir à des compromis avec des échanges de territoires. Toutes ces crises pourraient faire vaciller le pouvoir en place et faire émerger quelques voix discordantes dont la Chambre basse serait le lieu approprié. Le pays connaîtra également un mois après des sénatoriales sans grands enjeux et une élection présidentielle en fin d’année, mais qui s’annonce déjà sans surprise pour le clan au pouvoir. Le scénario le plus probable reste une candidature du président Emomali, ou en cas d’incapacité de son fils, déjà maire de la capitale depuis 2017.

Abkhazie. Élection présidentielle, 22 mars. La région séparatiste géorgienne pro-russe a connu de nombreuses protestations qui contestaient le résultat de l’élection présidentielle de septembre 2019 qui a vu la réélection de Raoul Khadjimba. Le candidat malheureux Alkhas Kvitsinia contestait la victoire de son rival et des irrégularités alors qu’il obtenait 46,17% contre 47,39% pour le président élu. Les opposants ont multiplié les actions pour réclamer des élections anticipées, jusqu’à prendre possession des bâtiments de l’administration présidentielle [9]. M. Khadjimba avait refusé de démissionner jusqu’à ce qu’une intervention de Vladislav Surkov, proche du président Poutine, l’y oblige pour garantir une stabilité politique — démontrant l’influence de Moscou dans cet État de facto. Pour ces élections, il est fort probable que les deux adversaires se retrouvent pour un nouveau duel au second tour. Même s’ils sont tous les deux pro-russes, le vote pourrait tout de même décider de l’avenir de l’Abkhazie tant Raoul Khadjimba est sur une position s’alignant davantage sur la Russie [10]. Sous sa première présidence, il avait signé un traité plaçant l’armée abkhaze sous le contrôle direct de la Russie et devant copier ses lois commerciales sur celles de l’Union économique eurasiatique. En revanche, M. Kvitsinia a des discours appelant à demeurer en bons termes avec la Géorgie si celle-ci ne commet pas d’actes pouvant menacer la sécurité de la République d’Abkhazie.

Haut-Karabagh. Élections législatives et élection présidentielle, 31 mars. Cette région à majorité arménienne a fait sécession de l’Azerbaïdjan et s’est autoproclamée comme république indépendante. Depuis, elle constitue un État de facto sous la protection principale de l’Arménie. D’ailleurs, les élites karabaghies sont souvent issues d’une formation universitaire ou professionnelle en Arménie, et ont pour beaucoup occupé des fonctions dans ce pays. Les législatives ne devraient point faire de doute et suivre le vote présidentiel pour lui donner une majorité. Le point important est que le président depuis 2007, Bako Sahakian, ne se représente pas. Et à l’heure actuelle, aucun candidat déclaré pour sa succession n’est en course pour la mandature suprême. Le parti présidentiel Parti démocrate de l’Artsakh devrait remporter les élections, ayant fait plus de 80% des voix à la dernière élection législative face au parti de l’opposition Mouvement 88. L’enjeu pour la région sera donc de trouver un successeur sans que cela n’entre dans un conflit politique interne qui pourrait affaiblir la position déjà délicate du Haut-Karabagh.

Russie. Référendum constitutionnel, avril. Après un mécontentement social et une baisse de sa popularité (même si un sondage récent indiquait que 30% des Russes souhaitaient que Vladimir Poutine obtienne un autre poste politique après son mandat), le président de la Russie a annoncé des réformes politiques. En effet, à l’approche de la fin de son quatrième mandat en 2024, qui doit être selon la Constitution le dernier, Vladimir Poutine a voulu préparer l’administration étatique à sa succession. Pour ce faire, il a instauré un renforcement du triptyque : Président, Premier ministre & Parlement [11]. Brièvement, les réformes envisagent un bloc socio-économique autour du Premier ministre, un bloc régalien autour du Président de la Fédération de Russie et le législatif autour de la Douma où la majorité deviendrait essentielle au déroulement de la vie publique. Mettant en pratique ses réformes, Vladimir Poutine a décidé dans le même temps de nommer Michoustine, avec de l’expérience dans le privé et dans le public, au poste de Premier ministre pour diriger ce bloc socio-économique et de créer le poste de Vice-Président du Conseil de Sécurité, organe consultatif présidentiel, pour Dimitri Medvedev et de le laisser au poste de chef du parti majoritaire Russie unie [12]. Ce qui ne présume en rien d’une mise au placard, mais n’en fait aucunement le successeur désigné. In fine, bien malin qui pourra dire ce que sera la configuration de la vie politique russe après 2024. Mais avant cela, les Russes devront valider les changements constitutionnels dans les urnes. Amendements portés par Vladimir Poutine, ce qui laisse peu de place au doute dans un pays qui demeure fidèle au chef de l’État. Toutefois, les pourcentages de pour et de contre pourront servir d’indicateurs pour analyser la popularité du président et les souhaits des Russes pour l’avenir.


Vladimir Poutine sortant de l’isoloir lors de l’élection présidentielle de mars 2018 / ©AFP — Yuri KADOBNOV

Arménie. Référendum constitutionnel, le 5 avril. Après des heurts de mars à avril 2018 conduisant à la démission de Serge Sarkissian , président depuis plus de 10 ans, et à la purge de ses soutiens, l’Arménie doit se prononcer sur une réforme constitutionnelle [13]. Cette réforme vise à pouvoir modifier les dispositions d’un décret qui permit à des juges constitutionnels de se maintenir alors qu’ils auraient dû quitter leur poste. Ce vote permettrait le renvoi de sept des neufs juges de la Cour constitutionnelle [14] et de virer les derniers soutiens de l’ex-président pour nommer des juges plus en accord avec les nouvelles aspirations politiques du pays. Néanmoins, même si le projet semble être appelé par les Arméniens, une majorité absolue de l’ensemble des votants est requise, ce qui ajoute une difficulté pour son adoption.

Kirghizistan. Élections législatives, 4 octobre. Face aux autres États d’Asie centrale, le Kirghizistan peut faire office d’exemple. En effet, en dehors d’une instabilité institutionnelle, le pays a un réel jeu démocratique. Les dernières élections législatives se sont déroulées de façon régulière et pacifique comme l’ont constaté les observateurs internationaux. Et celles de cette année devraient conforter cette impression d’un pays démocratique. Toutefois, le morcellement des partis et des voix ne permet pas à l’exécutif d’obtenir une majorité stable et oblige à nouer des coalitions fragiles [15]. Le nombre de partis déjà candidats devrait conforter cette tendance et à voir un douzième Premier ministre accéder à cette fonction depuis 2010. Les thèmes principaux de la campagne devraient être la lutte contre la corruption dans le pays, la dépendance énergétique vis-à-vis des États voisins et la situation économique.

Lituanie. Élections législatives, 11 et 25 octobre. Les électeurs lituaniens sont appelés à se rendre aux urnes pour renouveler les membres du Seimas. Les dernières élections de 2016 avaient vu le parti conservateur, écologique et rural LVŽS accéder à la majorité au sein de la chambre législative, alors qu’il n’était jusqu’ici que peu connu dans le pays [16]. Ceci était dû à un mécontentement des électeurs par rapport aux partis traditionnels, ce qui n’est qu’un exemple de plus dans la liste des pays connaissant la vague populiste [17]. Cette nouvelle majorité conduit Saulius Skvernelis à obtenir la fonction de Premier ministre, et à se porter candidat à la présidentielle de 2019, ceci bien qu’il ait échoué à accéder au second tour. A la suite de cette défaite, M. Skvernelis avait annoncé sa démission avant de revenir sur sa parole et de se maintenir à son poste de Premier ministre. Ce fait pourrait conduire les électeurs à le sanctionner et à marquer un retour des partis traditionnels [18], et ne considérer cette période que comme une parenthèse.

Géorgie. Élections législatives, octobre. En 2017, la Géorgie a voté une réforme constitutionnelle qui instaure un régime parlementaire devant à terme voir le président élu au scrutin indirect par un collège électoral et qui n’aurait plus qu’un rôle honorifique [19]. Ces législatives seront les dernières avant que la nouvelle monture institutionnelle soit appliquée en 2024. Mais elles ne seront pas une formalité car après de fortes mobilisations, le parti majoritaire s’était engagé à faire voter un amendement pour que le scrutin soit proportionnel plurinominal sans seuil électoral. Néanmoins, ce vote a échoué malgré le vote des députés de l’opposition, ne calmant pas les manifestations de l’opposition devant le Parlement. De ce fait, il n’est pas exclu que l’opposition poursuive la lutte durant l’année 2020 pour obtenir des concessions avant ces législatives.

Moldavie. Élection présidentielle, octobre. Des mouvements contestataires en 2015 avaient conduit la Cour constitutionnelle à ordonner l’élection du président au suffrage universel direct, et non par le Parlement. Dès 2016, l’élection présidentielle avait vu Igor Dodon, candidat pro-russe, remporter les élections face à un parti europhile avec 52% des voix. Les élections législatives de 2019 ont confirmé cette tendance avec le premier score pour le parti présidentiel mais sans majorité, s’obligeant à former une coalition avec un parti europhile. Ceci a conduit la cheffe de ce parti, Maia Sandu, à accéder au poste de Premier ministre sur un discours de rapprochement avec l’Union européenne [20]. En outre, l’élection présidentielle, en dehors de l’identité propre des candidats, devrait confirmer que les électeurs moldaves se séparent en deux catégories entre les pro-russes et ceux souhaitant un rapprochement avec l’Union européenne.

Transnistrie. Élections législatives, novembre. Pour cette république indépendante autoproclamée de la Moldavie, les élections législatives devraient confirmer la centralisation de la vie politique locale autour du parti Renouveau du président Vadim Krasnoselsky. En effet, ce parti possède tous les postes politiques en Transnistrie, obtenant 35 sièges sur les 43 lors des dernières législatives [21]. La population locale semble s’être résignée de cette concentration politique, en témoigne une participation ne dépassant que rarement les 50%. En plus d’une corruption conduisant une politique clientéliste [22], cette unité politique peut traduire une volonté des Transnistriens de se rassembler autour d’un parti pour éviter des dissonances et poursuivre leur objectif de se détacher de la Moldavie.


 

Bibliographie

[1] Communiqué de la mission d’observation de l’OSCE : https://www.osce.org/odihr/elections/uzbekistan/428690 [2] The Washington Post, « Uzbekistan elects new parliament with no opposition » (The Washington Post, 23 December 2019) [3] Isabelle Mandraud, « En Ouzbékistan, un air de perestroïka : Un an et demi après avoir succédé au despote Karimov, le président Chavkat Mirziyoyev a entrepris une série de réformes inédites dans ce pays d’Asie centrale. » (Le Monde,‎ 6 avril 2018) [4] Kathleen Collins, « Clans, Pacts &Politics in Central Asia ». Journal of Democracy vol.13 n°03 (2002) : 140–156 [5] JAM News, « Single Azerbaijani opposition member to make it into parliament criticised for accepting mandate » (JAM News, 11 February 2020) [6] Zulfugar Agayev, « Azeri Snap Elections Condemned by Monitors for Vote Violations » (Blommberg LP, 10 février 2019) [7] RFI, « Faut-il s’inquiéter de l’installation du groupe État islamique au Tadjikistan ? » (RFI, 08 novembre 2019) [8] Novastan.org, « Tadjiks et Kirghiz s’affrontent à la frontière à coups de pierres et de fusils de chasse » (Novastan.org, 11 janvier 2020) [9] Libération.FR, « Quasi coup d’Etat en Abkhazie » (Libération.fr, janvier 2020) [10] Courrier international, « Un nouveau rpésident pro-russe en Abkhazie » (Courrier international, 25 août 2014). [11] Balmforth, Tom & Andrew Osborn, « Putin Speeds Up Russian Political Shake-up, Details New Power Center », (Reuters, 20 janvier 2020) [12] Anton Troianovski, « Big Changes ? Or Maybe Not. Putin’s Plans Keep Russia Guessing », (New York Times, 21 janvier 2020) [13] Libération, « En Arménie, un règlement fragile se profile après des semaines de protestations », (Libération, 3 mai 2018) [14] Harout Manougian, « Referendum Called » (EvnReport, 07 février 2020) [15] Novastan.org, « Élections au Kirghizistan : tout ce que vous devez savoir », (Novastan.org, 26 novembre 2015) [16] Ladepeche.fr, « Législatives en Lituanie : victoire surprise de l’Union des paysans et Verts », (ladepeche.fr, 23 octobre 2016) [17] Alain Dieckhoo, « Une vague populiste globale », Les Dossiers du CERI (février 2018) [18] Mindaugas Jurkunas, « Emerging Cleavages in New Democracies : The Case of Lithuania », Journal of Baltic Studies vol.36 Issue 3 (2004) : 287 [19] Dimitry Gegenava, « Retrospection of the Constitutional Reforms of Georgia: In Search of the Holy Grail » ( 1er mai 2017). South Caucasus Law Journal, 8/2017. [20] Madalin Necsutu, « Facing Elections, Moldova Looks East for Cash » (BalkanInsight, 20 janvier 2020) [21] Oleh Protsyk, « Representation and Democracy in Eurasia’s Unrecognized States : The Case of Transnistria », Post-Soviet Affairs Vol. 25 Issue 3 (2009) : 267–275 [22] Moldova.org, « Transnistrian Power Wielding Forces Hold Over Ten Opponents of Breakaway Regimes » (Moldova.org, 13 mars 2007)

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