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Crimée : récit écono-identitaire post-1954 d'un espace déchiré.


Par Anthony Trouilhas, candidat à la maîtrise en études internationales à l’Université de Montréal.

Pont de Crimée, reliant la Crimée et la Russie (Wikipédia)

Alors que les tensions entre la Russie et l’Ukraine sont toujours aussi vives, un cas en particulier semble décrire à lui seul la difficulté historique de ce conflit : la Crimée. Pourtant, l’Ukraine, qui a fêté les 30 ans de son indépendance le 24 août 2021, a lancé la veille de ce jour un forum autour de la problématique de la Crimée. Comme souvent lorsque l’Ukraine essaye d’attirer les regards extérieurs, les évènements cantonnent les Ukrainiens à un rôle de second rang. Cette fois ce n’est pas un mauvais coup du gênant voisin russe qui vola la vedette, mais l’échec américain en Afghanistan venant occulter le reste de l’actualité internationale. Le lundi 23 août, à Kiev, une cinquantaine de représentants alliés des Ukrainiens se sont réunis pour condamner l’annexion et l’occupation par la Russie de la Crimée. Parmi les cinquante représentants, peu de grandes figures. L’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, pourtant présente le 22 août à Kiev pour dialoguer avec le président ukrainien Zelensky, n’est pas restée. Elle a envoyé son ministre des finances au forum pour la Crimée, son ministre des affaires étrangères étant retenu par les affaires afghanes [1]. Zelensky espérait aussi pouvoir compter sur la présence d’Emmanuel Macron et de Joe Biden pour donner une autre envergure à ce sommet. L’absence des deux présidents est à l’image d’une réunion en demi-teinte[2]. Le forum pour la Crimée a donc rappelé les faits habituels qui ont accouché de la situation actuelle de la péninsule :

  • La Russie viole la souveraineté territoriale de l’Ukraine ;

  • La présence russe est contraire aux règles du droit international ;

  • L’annexion de la Crimée fait également partie de l’ensemble d’une guerre qui a fait depuis 2014 plus de 13 000 morts [3].

Mais l’Ukraine voulait se servir des festivités autour de son trentième anniversaire pour rappeler qu’elle ambitionne toujours de reprendre la Crimée et le Donbass [4], d’où le défilé des armées ukrainiennes, comme pour montrer symboliquement la puissance des troupes. Depuis, finalement, peu ou rien n’a été fait pour changer le cours des choses. Au contraire d’autres tensions, comme la récente crise des migrants en Biélorussie, ont fait passer la Crimée au second plan malgré l’hypothèse d’un nouvel envahissement russe des régions de l’est de l’Ukraine.

Cette démonstration de l’Ukraine venait rappeler l’attachement qu’elle porte à la péninsule de Crimée. L’objectif de l’article est d’effectuer un bref retour historique sur l’évolution de la Crimée depuis qu’elle fait partie de la république d’Ukraine. Dans un premier temps il s’agira de comprendre les conditions de la cession de la Crimée à l’Ukraine par l’Union soviétique. Ensuite nous étudierons l’impact culturel que le rattachement de la Crimée à l’Ukraine a eu sur la péninsule. Enfin, nous observerons quelles sont les composantes qui ont fait de la Crimée un espace d’importance stratégique pour l’Ukraine en étudiant le développement économique de la péninsule suite à son passage côté ukrainien avant de revenir à des enjeux plus contemporains avec les conséquences de l’annexion.

Quelle identité pour la Crimée post-1945 ?

La Crimée est le lieu de grandes batailles de l’histoire de la Russie. Notamment à Sébastopol avec deux sièges entre 1854–1855 et 1941–1942. La péninsule est donc depuis la fin du XVIIIe siècle sous giron russe et son importance s’explique par son accès aux mers chaudes [5]. En effet, la Crimée donne directement accès à la mer Noire et permet de pouvoir transiter à travers le détroit du Bosphore, puis le détroit des Dardanelles pour accéder à la mer Égée et à la Méditerranée. Cet espace revêt donc un caractère stratégique notamment lorsque les voies maritimes sont déterminantes pour commercer. Cependant, cent ans après le premier des deux sièges, le chef de l’Union soviétique, et premier secrétaire du parti communiste, Nikita Khrouchtchev, fait don à l’Ukraine en 1954 de la Crimée. Ce don est réalisé à l’occasion du tricentenaire du traité de Pereïaslav, par lequel les cosaques d’Ukraine avaient proclamé leur allégeance à Moscou [6]. Ce cadeau de l’URSS à l’Ukraine est à l’époque une manière de célébrer la fraternité entre les peuples de l’Union soviétique. Plus concrètement, le décret de cession invoquait l’intégration économique, la proximité territoriale, et les liens culturels et linguistiques entre la péninsule et l’Ukraine pour justifier la décision de Khrouchtchev [7].

Une exception vient toutefois rappeler l’attachement historique de l’Empire de Russie, et qui a encore un rôle décisif aujourd’hui. C’est le cas singulier de la ville de Sébastopol. Cette dernière est dotée d’un statut particulier qui remonte à sa fondation en 1793 et qui est confirmé à plusieurs reprises en 1893, 1948, 1992, 1993, 1996 [8]. Elle est totalement soustraite de l’Oblast de Crimée en 1948, pour devenir la charge exclusive de Moscou qui y assure les règles administratives, juridiques, financières, jusqu’en 1991, et sans que la République socialiste d’Ukraine n’ait voix au chapitre [9]. Le transfert de 1954 ne joue d’ailleurs aucun rôle sur Sébastopol puisque le cas n’est même pas abordé [10]. Cela permettra à la Russie de continuer à faire mouiller ses navires dans le port de Sébastopol même après la cession par Khrouchtchev.



La Crimée et la ville de Sébastopol ont longtemps été des atouts de la Russie impériale en étant la porte d'accès aux mers chaudes.

Nikita Khrouchtchev lègue donc ce territoire autrefois peuplé par les Tatares de Crimée. Ces derniers ont été déportés en grand nombre en Asie centrale lors de la Seconde Guerre mondiale suite aux accusations par Staline de collaboration avec l’ennemi et d’anticommunisme. Lors de la cession de 1954, la population de la péninsule est composée de quelques Tatars [11], de Russes, et d’Ukrainiens en minorité [12]. La région de Crimée n’est donc pas représentative d’une domination culturelle russe ou ukrainienne, mais un mélange d’identités et de cultures. Entre 1944 et 1965, environ 170 000 Tatares de Crimée sont donc déportés en Asie centrale [13]. Après 1967, ils seront nombreux à retourner dans leur région d’origine sans que cela soit approuvé par le parti central. Ce n’est qu’en 1987 que l’URSS va officiellement approuver la politique de retour des Tatares et la chute de l’Union en 1991 va accentuer le mouvement.

Il semble aussi nécessaire de rappeler qu’en 1991, à la veille de l’effondrement de l’Union soviétique, l’Ukraine va tenir un référendum sur l’indépendance. Un scrutin ou la population à hauteur de 90% va donner son approbation à un futur pays ukrainien. En Crimée, le taux d’approbation est loin de la moyenne nationale puisqu’ils sont 55% à vouloir l’indépendance, ce qui représente une courte majorité [14].

Comme nous l’avons évoqué, la fin de l’URSS coïncide avec le retour en masse des Tatares de Crimée. En 2001, ils sont 245 000 alors que 170 000 avait été déporté [15]. Les recensements au tournant du XXIe siècle montrent que dans les districts et dans les grandes villes, les trois identités dominantes, russes, tatares, ukrainiennes, se partagent la Crimée. Dans la ville de Djankoï, poumon économique, on compte en 2001 environ 20 000 habitants, dont 60% de personnes d’origine russe, environ 26% d’origine ukrainienne, et 8% de Tatares. Si l’on sort de la ville et qu’on regarde le district de Djankoi, qui en 2001 est peuplé d’un peu moins de 82 000 habitants, on compte 39% de Criméens d’origine russe, 33% venant d’Ukraine, et 21% de Tatares [16]. Il existe donc une domination de l’ethnie russe et Djankoï n’est pas une exception à ce niveau. En effet, de manière générale le recensement de 2001 atteste d’une large présence d’habitants d’origine russe. Au total, en 2001, le recensement indique que la population de Crimée est composée à 60.40% de personnes d’origine russe, pour 24% d’origine ukrainienne, et plus de 10% de Tatares.

En plus de dominer démographiquement, l’identité russe semble aussi être la culture majoritaire. En effet, si l’on peut s’attendre à ce que les Russes parlent en grande majorité leur langue, on peut s’attendre à ce que les autres ethnies en fassent de même. Ce n’est pourtant pas le cas et cela pour une raison : la division linguistique des personnes d’origines ukrainiennes. Lors d’une étude publiée en 2011, le chercheur Austin Charron conclu que parmi les personnes qu’il a interrogé pour le bien de son sondage-recensement sur l’identité de la Crimée, 98.4% des Russes de Crimée considèrent le russe comme langue première. Parmi les Tatares de Crimée, 95.6% expliquent que la langue tatare de Crimée représente leur langue. Tandis que pour les Ukrainiens, seulement 37.2% expliquent considérer l’Ukrainien comme langue première contre 58.8% qui font prévaloir le russe [17]. Pour ce qui a trait au culte, la représentation est homogène malgré l’exception Tatare. En effet, parmi les Russes et les Ukrainiens de Crimée, plus de 90% de la population se définit de religion orthodoxe ou chrétienne [18]. Tandis que les Tatares, ils sont plus de 98% à indiquer l’islam comme religion [19]. Ces aspects culturels jouèrent déjà largement dans la balance lorsque les forces séparatistes, avec le soutien de Moscou, effectuèrent un coup dans l’est de l’Ukraine, suivi par l’annexion de la Crimée pour des raisons similaires.

La géographie au service de l’économie

D’un point de vue économique, la Crimée connaît plusieurs évolutions au milieu du XXe siècle. Initialement, cet espace était dans les années 1930 considéré comme pauvre et peu propice à l’agriculture [20]. Un des changements qui transforme les perspectives économiques de la péninsule est la construction du canal de Crimée du Nord, à partir de 1961, associé à l’installation en 1950 d’une ligne à haute tension depuis la centrale hydro-électrique de Kakhovka, le long du Dniepr [21].


Le Canal Nord de Crimée, de plus de 400 kilomètres (d'après le tracé de l'observatoire franco-russe), et la centrale Hydroélectrique de Kakhova sur le Dniepr d'où origine le canal. La ville de Djankoï représente la ville de la croissance économique de la Crimée durant la seconde partie du XXe siècle.

Ces projets vont changer les perspectives d’un territoire jusque-là insuffisamment irrigué. Alors que précédemment, le tourisme représentait la première source économique de la région, plusieurs secteurs émergent dans l’agriculture, comme la riziculture, l’horticulture ou la pisciculture en étang [22]. D’autres secteurs sont aussi portés par une solide croissance comme l’industrie chimique et agroalimentaire couplés à un développement du réseau de transport qui permet une certaine prospérité économique [23]. L’un des symboles de cette croissance économique est l’expansion de la ville de Djankoï. Située le long du canal de Crimée du Nord, cette ville est devenue le plus grand pourvoyeur d’emploi de la région. On comprend ainsi que le développement fluvial de la Crimée a permis à cette région de développer ses perspectives économiques. Ce qui crée également une dépendance par rapport à l’Ukraine qui contrôle le Dniepr qui fournit l’eau pour le canal de Crimée du Nord. Il reste que le tourisme reste le premier secteur économique historique de la Crimée. Ces développements géographiques viennent soutenir un autre secteur économique profitant de la topographie avantageuse de la péninsule. En effet, le tourisme représente l’attrait économique principal. La Crimée bénéficie notamment d’un climat chaud tempéré, chose assez rare dans les territoires anciennement sous domination de l’URSS [24]. La Crimée est aussi caractérisée par ses paysages variés, par la présence de la mer Noire et celle d’Azov, par un héritage culturel riche, et par la présence d’eaux minérales et de boues thérapeutiques [25]. Avant la Seconde Guerre mondiale, la Crimée avait déjà la réputation d’être un lieu de villégiature pour les dirigeants et les grandes personnalités. Même les paysans et autres travailleurs qui venaient étaient sommés de venir se ressourcer pour profiter des « pouvoirs curatifs » de la péninsule [26]. Et puis, comme tout secteur économique sous gestion de l’URSS, le tourisme va bénéficier de plusieurs plans quinquennaux ayant comme objectif de faire croître l’attrait touristique. Ce qui va augmenter son nombre de visiteurs. Avant le début du conflit mondial en 1939, la péninsule recevait annuellement 3 millions de visiteurs. Ce chiffre va croitre jusqu’à 6.5 millions en 1977 et même jusqu’à 9 millions quelques années plus tard, en 1980 [27]. Cette explosion rapide s’explique notamment par le neuvième plan quinquennal, entre 1970 et 1975, qui a pour objectif de moderniser et de développer le réseau des complexes hôteliers pour permettre l’arrivée de touristes supplémentaires [28].


Libéralisation de l’économie et perspectives

Cependant, la fin de la Guerre froide et la chute de l’URSS forcent à une adaptation du système économique, celle-ci ayant eu un impact dans les perspectives de développement et de maintien de l’ensemble des activités de la péninsule. Le tourisme, comme dit précédemment, avait fait l’objet d’un développement largement soutenu par l’État. Les années 1990 seront l’occasion d’une difficile adaptation à l’économie de marché et à la nouvelle donne politique postsoviétique. La péninsule va notamment déclarer en 1992 vouloir rester dans l’Ukraine en tant que République autonome et donc en gardant une marge de manœuvre [29]. Marquées par le marasme économique, les années 90 marquent le déclin de l’industrie touristique de la Crimée : les infrastructures commencent à être naturellement vieillissantes et le manque d’investissement ne peut empêcher cette détérioration [30]. On assiste parfois même au développement d’une économie touristique souterraine où ni l’État ni les institutions responsables du tourisme ne contrôlent les actions du secteur [31].


Après le passage terrible des années 1990, les années 2000 représentent un nouveau départ pour l’industrie touristique. Si les Occidentaux restent sceptiques, la péninsule voit les Ukrainiens et Russes venir fréquenter les côtes de la mer Noire [32]. Les investissements russes vont notamment permettre de dynamiser le secteur par la rénovation d’anciennes installations (comme les Sanatoriums), par la publicité, et le développement de programmes immobiliers dans des villes de Yalta, Aoutcha et Kerch [33].


Crise géoéconomique

L’annexion de la Crimée par la Russie au premier trimestre 2014 met en exergue la position géostratégique de la Crimée pour l’envahisseur russe. Premièrement, la mer Noire comporte des ressources naturelles qui font l’objet d’exploration et la Crimée est donc un espace qui donne un avantage stratégique certain à celui qui la possède. Mais cette situation met en avant plusieurs sujets qui sont particulièrement révélateurs de la problématique qu’impose la Crimée à la Russie. D’abord, comment joindre de manière terrestre ce territoire dont aucune route ne peut vous y mener sans passer par l’Ukraine. Ensuite, comment appréhender le droit international maritime dans le cas d’une annexion illégale ?

Grâce à l’annexion, la Russie a modifié ses frontières maritimes et peut revendiquer une zone économique exclusive (ZEE) de 200 milles marins au large de la Crimée [34]. Toutefois, il faut se demander si le droit international s’applique dans un cas aussi exceptionnel que l’annexion russe de la Crimée.


Premièrement, il est nécessaire de nuancer la portée de la ZEE. Selon Nicolas Kempf, doctorant en droit de la mer à l’Université de Montréal, l’élargissement de la ZEE est possiblement contraint par la géographie. L’extension est possible, mais n’est pas applicable lorsque les côtes de deux États sont éloignées de moins de 400 milles marins. Pour François Xavier Saluden, chargé de cours en droit à l’Université de Montréal et spécialiste du droit international, la situation est également complexe. Habituellement, les États sont souverains pour délimiter leurs zones frontalières. Saluden explique qu’en cas de contestation entre deux pays, la résolution du conflit est effectuée par traité ou voie juridictionnelle des institutions compétentes (Tribunal international du droit de la mer ou Cour internationale de Justice par exemple). Dans le cas à l’étude, l’annexion étant reconnue internationalement comme illégale, aucune juridiction n’a « dit le droit », explique l’universitaire, ce qui laisse libre cours aux invocations tentant de légitimer politiquement une action. De surcroit, François Xavier Saluden explique que l’annexion étant armée, les États ont l’obligation de ne pas la reconnaître, de même que toutes possibles revendications russes en matière de protection et d’exploitation des ressources halieutiques. Comme l’explique Kempf, la situation implique donc que les différents belligérants tentent de faire prévaloir leur interprétation, ce qui provoque de fréquentes tensions en mer Noire, d’Azov et dans le détroit de Kertch.


Il faut toutefois rappeler qu’avant d’annexer la Crimée, la Russie avait déjà un pied à terre dans la péninsule. Précédemment, nous avons abordé le cas particulier, et historique, de Sébastopol. Jusqu’à 2014, la Russie gardait la mainmise sur le port de Sébastopol suite à différents contrats signés avec l’Ukraine. Le dernier signé en 2010 donne la charge du port à la Russie jusqu’en 2045 [35]. L’annexion permet toutefois aux Russes de se retrouver seuls maîtres à bord de la gestion et sans avoir à demander l’accord de l’Ukraine. De plus la Russie fait, depuis 2014, l’économie de 100 millions de dollars américains dont elle s’acquittait à l’Ukraine pour la location d’emplacements portuaires de sa flotte. À cela s’ajoute une autre économie de 10 à 15 millions de taxes pour le passage du chenal de Kertch [36]. Toutefois ces gains russes sont nuancés par l’obligation d’administrer la Crimée, mais la Russie regarde à long terme [37]. En effet, l’urgence est de pouvoir permettre le ravitaillement de la péninsule.

Le pont de Kertch relie la Russie et la Crimée et pose le problème de la souveraineté de l’Ukraine et met en exergue le conflit en mer d’Azov.


En 2010, les présidents russe et ukrainien de l’époque décidèrent de la construction d’un pont sur le détroit de Kertch. La construction du pont pour relier le territoire russe et la péninsule de Crimée est terminée en 2018. Ce projet de 18 kilomètres pose notamment des questions sur le statut de la mer d’Azov dont la Russie se pose en contrôleur. Cette même année, la mer d’Azov a été le théâtre de plusieurs tensions entre Russe et Ukrainiens [38]. La Russie pose désormais ses conditions qui peuvent parfois endiguer les déplacements maritimes et marchandises à destination, ou partant des ports ukrainiens de la mer d’Azov, et ce malgré le droit international [39]. Cependant, le pont reliant la Crimée et la Russie permet désormais à la Fédération d’acheminer des ressources de première nécessité et de continuer le renforcement militaire [40]. Ce qui n’est pas sans rappeler que la Crimée souffre d’un manque de ravitaillement. En effet, depuis l’annexion, l’Ukraine cherche à paralyser les efforts russes en Crimée. Elle mise notamment sur le canal du nord de Crimée. Ce dernier comme nous l’avions évoqué trouve sa source sur le fleuve du Dniepr que contrôle Kiev. Depuis 2014, l’Ukraine use de cet avantage pour assécher la Crimée et réduire la fourniture d’électricité que produit le barrage [41]. Des secteurs de productions agricoles qui ont participé à la prospérité du territoire seront impactés. Le manque d’eau affecta la production des légumes et assécha les rizières qui vont être abandonnées [42]. Ces mêmes problématiques qui sont renforcées par l’embargo sur les produits européens de la Russie qui privilégie les produits nationaux.


Ces données viennent fragiliser une économie déjà précarisée par la situation socio-économique héritée des années 1990, le secteur touristique ne pouvant compenser ces pertes. Depuis 2014, la Russie effectue notamment des campagnes pour encourager ses habitants à aller en Crimée. Toutefois c’est toute une économique touristique qui est à reconstruire. Les sanatoriums sont vétustes, et les petits commerces et hôtels, anciennement tenus par des Tatares, ont dû fermer puisque les Russes ont souvent refusé d’enregistrer les Tatares pour l’obtention de permis de commerce [43]. La perpétuation de tensions économiques et identitaires fait de la Crimée un pion à exploiter et non une péninsule à développer.


Ce texte proposait de faire un récit entre histoire et actualité des évolutions économiques et identitaires de la péninsule de Crimée. Depuis le don à la RSSU (République socialiste soviétique d’Ukraine), la Crimée a connu une période de développement économique sous l’URSS qui permettait de croire qu’à terme, cet espace autonome puisse prospérer malgré les tensions identitaires. Ce territoire n’est pas sans atout : situation géographique avantageuse, ouverture sur la mer Noire, développement agricole et touristique. Mais c’était sans compter sur ses dépendances : suite à la construction du barrage sur le Dniepr, la Crimée compte sur l’eau et l’électricité pour continuer son développement. Désormais, la Russie, avec le pont de Kertch, se pose en ravitailleurs, mais ne peut endiguer le marasme économique dans lequel est plongée la péninsule. La Crimée a donc été déchirée pour permettre aux Russes d’accomplir l’unification symbolique et mettre à profit une situation identitaire qui leur était favorable. Les projets économiques et la prospérité de la Crimée semblent secondaires, puisque ce qui importe principalement aux Russes c’est la portée aussi identitaire que géostratégique que comporte la Crimée.


 

Biographie


[1] Wieder, Thomas. 2021. « A Kiev, Angela Merkel ne parvient pas à rassurer les Ukrainiens ». Le Monde.fr, 23 août 2021. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/23/a-kiev-angela-merkel-ne-parvient-pas-a-rassurer-les-ukrainiens_6092106_3210.html.

[2] Grynszpan, Emmanuel. 2021. « En Ukraine, trente ans d’indépendance fêtés sous pression ». Le Monde.fr, 25 août 2021. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/25/en-ukraine-trente-ans-d-independance-fetes-sous-pression_6092291_3210.html.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Le Monde.fr. 2014. « D’un simple décret, Khrouchtchev fit don de la Crimée à l’Ukraine en 1954 », 15 mars 2014. https://www.lemonde.fr/europe/article/2014/03/15/d-un-simple-decret-khrouchtchev-fit-don-de-la-crimee-a-l-ukraine_4383398_3214.html.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Snegur, Julia. 2014. « Les avantages stratégiques de la Crimée ». Outre-Terre 41 (4): 316‑29.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Le Monde, op, cit.

[12] Charron, Austin. 2016. « Whose is Crimea? Contested Sovereignty and Regional Identity ». Region 5 (2): 225‑56.

[13] Kochko, Dimitri de. 2007. « Crimée: le losange convoité de la Mer Noire ». Diplomatie, nᵒ 25: 20‑23.

[14] Chamontin, Laurent. 2019. « Ukraine : évolutions géopolitiques et imbroglio territorial ». Population Avenir 744 (4): 14‑16.

[15] de Kochko, op. cit.

[16] Olga Vendina, op. cit.

[17] Charron, Austin. 2016. « Whose is Crimea? Contested Sovereignty and Regional Identity ». Region 5 (2): 225‑56.

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] Vendina, Olga. 2018. « La Crimée du Nord : étude de cas ». Observatoire Franco-Russe, 1 novembre 2018. https://fr.obsfr.ru/report/15207/11439/.

[21] Ibid.

[22] Ibid.

[23] Ibid.

[24] Newcombe, Lydia F. 1985. « Protected Natural Territories in the Crimea, USSR ». Environmental Conservation 12 (2): 147‑55.

[25] Panasiuk, Aleksander, et Halyna Zubrytska. 2021. « Information Support of Russian Media for the Tourist Destination of Crimea ». Sustainability 13 (6): 3228. https://doi.org/10.3390/su13063228.

[26] Lydia F. Newcombe op. cit .

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] de Kochko, op, cit.

[30] Aleksander Panasiuk et Halyna Zubrytska op, cit.

[31] Ibid.

[32] de Kochko, op, cit.

[33] Ibid.

[34] Julia Snegur, op, cit.

[35] Ibid.

[36] Ibid.

[37] Ibid.

[38] Chamontin, Laurent. 2019. « Ukraine : évolutions géopolitiques et imbroglio territorial ». Population Avenir 744 (4): 14‑16.

[39] La Presse. 2021. « L’OTAN « inquiète »: La Russie va limiter la navigation dans trois zones de Crimée jusqu’en octobre », 16 avril 2021, sect. Europe. https://www.lapresse.ca/international/europe/2021-04-16/l-otan-inquiete/la-russie-va-limiter-la-navigation-dans-trois-zones-de-crimee-jusqu-en-octobre.php.

[40] Iffly, Catherine. 2017. « Quelles perspectives pour la Crimée ? » Politique etrangere, nᵒ 2 (juin): 129‑42..

[41] Chamontin, op, cit.

[42] Ibid.

[43] Iffly, op, cit

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