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Photo du rédacteurRéseau québécois d'études postsoviétiques

Volodymyr Zelensky : un nouveau souffle pour l’Ukraine ?


Par Katia Sviderskaya, finissante au Baccalauréat de science politique de l'Université de Montréal

Zelensky remporte l’élection présidentielle en Ukraine, avril 2019. https://www.ledevoir.com/monde/europe/552659/l-ukraine-se-prepare-a-une-victoire-desormais-probable-de-volodymyr-zelensky.

Ukraine, Україна, ex-république soviétique, le garde-manger de la région… les appellations sont nombreuses pour cet État européen de 600 000 km2 et de 44 millions d’habitants [1]. L’Ukraine n’était pas sous le feu des projecteurs jusqu’à la crise de l’hiver 2013 et l’annexion de la Crimée quelques mois plus tard. Ce soulèvement populaire a ensuite débouché sur une guerre affrontant les forces pro-russes séparatistes et ukrainiennes. Ce conflit, bien qu’il soit larvé, continue de faire des victimes dans les deux camps. Le changement de pouvoir entre Yanoukovitch et Porochenko, précipité par les manifestations de Maïdan, n’a pas fondamentalement changé la donne dans ce conflit meurtrier. Ce n’est qu’en 2018, que l’acteur de 41 ans Volodymyr Zelensky fonde le parti « Serviteur du Peuple », portant le même nom que la série télévisée dans laquelle il joue le rôle principal. Le 31 décembre 2018, il se présente comme candidat pour l’élection présidentielle d’avril 2019. « C’est une blague ? » se sont demandé de nombreux Ukrainiens. Le 21 avril 2019, cette blague se transforme en réalité lorsque le Serviteur du Peuple devient le nouveau chef d’État ukrainien, avec 73 % des voix [2].


Comment, d’une réputation de « clown », Zelensky a-t-il imposé son image de leader au niveau national et international ? Élu pour mettre fin à la guerre du Donbass et prouver au monde entier que « Ще не вмерла України і слава, і воля » (traduit de l’ukrainien : Ni la gloire ni la liberté de l’Ukraine ne sont mortes), Zelensky tente de projeter une image de diplomate en accumulant les efforts pacifistes dans la résolution du conflit. D’une part, le dirigeant encourage une coopération avec l’Union européenne et les instances multilatérales. D’autre part, ses actes prônant la paix sont enfin perceptibles, et font écho à l’opinion ukrainienne ce qui grandement apprécié par la population.


Des efforts de coopération diplomatique avec l’Occident

Le président Zelensky est élu, après sa « non-campagne », sur un programme résolument tourné vers la lutte contre la corruption et une résolution pacifique du conflit dans le Donbass. Sa première visite à l’étranger est Bruxelles et ses institutions européennes [3]. Le chef d’État ukrainien souhaite travailler assidument afin d’intégrer l’Union européenne et l’OTAN en tant que membre à part entière. En réaffirmant, au 21e sommet UE-Ukraine du 8 juillet 2019, « la force des liens politiques et économiques » [4] entre les deux parties, le dirigeant ukrainien se montre comme étant favorable au rapprochement avec les pays occidentaux et ouvert à collaborer avec les instances européennes, notamment pour ce qui a trait aux réformes que souhaite engager Zelensky. Malgré le scandale américain de corruption l’impliquant indirectement en 2019, la présidence ukrainienne semble poursuivre sa stratégie de consolidation et de stabilisation des institutions en détournant son attention de cette affaire. L’opinion publique ukrainienne ne semble pas tenir rigueur du scandale, étant davantage préoccupée par ce qui se passe dans le Donbass [5], démontrant la capacité de Zelensky à ne pas céder aux possibles ingérences américaines dans la politique interne de l’Ukraine.


Le résultat d’une politique souveraine et d’un objectif de rapprochement avec Bruxelles s’illustra notamment par la coopération entre l’Ukraine et l’UE dans la pandémie de COVID-19. L’UE a en effet soutenu « l’effort sanitaire » ukrainien. Une pandémie qui, pour l’anecdote, a directement touché le président ukrainien : sa femme et son enfant en ont été malades [6].


Les Ukrainiens ont eu affaire notamment à des défis d’ordre économique. Encore une fois, le rôle de la coopération internationale fut de mise, et Zelensky s’est appuyée sur la crédibilité de ses engagements afin d’obtenir des soutiens essentiels de l’UE et du Fond Monétaire International. Cette coopération s’est traduite par des aides financières conséquentes : près de 1,2 milliard d’euros sont accordés par l’UE [7], et 5 milliards de $ US seront versés dans les 18 mois de la part du FMI [8].


En somme, la multiplication des ententes bilatérales avec diverses organisations internationales traduisent la volonté Zelensky de repositionner l’Ukraine comme un pays souverain. Une politique de coopération qui, nous allons le voir, s’enligne dans une véritable stratégie de relance des capacités de l’État ukrainien.


Un espoir de paix dans le Donbass

Dans une perspective de résolution du conflit, le président entreprend, dès le début de son mandat, des processus de paix jamais vus auparavant. C’est alors que, le 7 septembre 2019, il réussit à négocier avec la Russie un échange de 35 prisonniers, dont les marins emprisonnés lors de l’affrontement dans le détroit de Kertch [9]. C’est ainsi que Zelensky se fait remarquer à travers sa détermination, et sa capacité de négocier avec le président russe, souvent perçu comme intouchable. Les scènes de retrouvailles réjouissent les ukrainiens — joie, larmes et soulagement étaient visibles à Kiev. Le président réussit alors à fédérer la population ukrainienne à travers des succès diplomatiques. En plus, il sait tirer profit de ces victoires afin d’augmenter sa popularité et son crédit politique. Sa cote de popularité dépassait les 70 % [10] en septembre 2019, témoignant de l’image positive que les Ukrainiens avaient de lui.


Arrivée des prisonniers à Boryspil — aéroport international de Kiev, 7 septembre 2019. https://in.reuters.com/article/ukraine-russia-prisoners-arrival-idINKCN1VS0CT.

Puisqu’une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, c’est durant le mois de septembre qu’Emmanuel Macron annonce la tenue de la réunion au Format de Normandie (Allemagne, France, Russie et Ukraine). Cette annonce s’inscrit dans la volonté de Zelensky de résoudre le conflit le plus rapidement et le plus pacifiquement possible. Ainsi, le 9 décembre 2019, c’est au Palais de l’Élysée à Paris qu’a lieu la première rencontre en personne du quatuor depuis 2016. Il s’agit aussi de la première fois que le chef d’État ukrainien rencontrait son homologue russe, Vladimir Poutine. Le bilan de la réunion est positif : les engagements de Minsk 2014 prônant la fin de la guerre sont réitérés, un accord est émis concernant un cessez-le-feu et un échange de prisonniers…[11] En bref, un vent de paix souffle enfin sur les relations russo-ukrainiennes. Cet espoir de paix que les chefs d’État comptaient renouveler dans un délai de 4 mois a été malheureusement compromis par la pandémie.

“Clown”, diront certains, “populiste”, diront d’autres. Ce qui est certain c’est que le président ukrainien parvient à gagner la confiance des Ukrainiens. Son objectif premier étant la résolution de la Guerre du Donbass, Zelensky semble adopter des mesures concrètes et cohérentes de coopération internationale à cette fin. De plus, il tente de redorer l’image de l’Ukraine sur la scène internationale, et ce en l’impliquant au sein des organisations internationales, ainsi qu’en entretenant des relations pragmatiques et en ouvrant des perspectives de développement avec les puissances occidentales. Zelensky semble répondre aux aspirations manifestées par les ukrainiens lors des révolutions du Maïdan en 2013–2014, de manière à se détacher de l’image de marionnette du Kremlin. S’agit-il d’une stratégie afin d’atteindre les « standards » libéraux de l’Union européenne ? La réponse, qu’elle soit positive ou négative, n’importe peu.

Bien que Zelensky parvienne d’un côté à rétablir un climat de confiance dans le pays, il manque d’assurance sur certains points. Il perd effectivement en popularité depuis le mois de février 2020, ce qui s’explique par de nombreux facteurs par exemple le manque de réformes concrètes, le procès contre Porochenko non concluant, le fort impact de la pandémie de COVID-19… [12]. Ainsi, bien que d’un point de vue général, Volodymyr Zelensky réussit à se démarquer positivement par rapport aux présidents précédents, en maintenant un cessez-le-feu dans le Donbass de plus de 100 jours [13], le travail n’est définitivement pas abouti et l’Ukraine a encore un long chemin à parcourir afin de redonner espoir à ses citoyens et à la communauté internationale.



 

Bibliographie


[1] Daubenton, A., Dmytrychyn, I., Hajda A, L. Luciani, G., Richard, Y. « UKRAINE ». Encyclopædia Universalis [en ligne]. https://www.universalis.fr/encyclopedie/ukraine/. Consulté le 16 septembre 2020. [2] Perspective Monde. 2019. « Élection de Volodymyr Zelensky à la présidence de l’Ukraine ». Université de Sherbrooke. https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=1640. [3] AFP. 2019. « Ukraine : Zelensky demande à l’UE de l’aider à mettre fin à la guerre au nom des enfants » RTL Info, 4 juin 2019. https://www.rtl.be/info/monde/europe/ukraine-zelensky-demande-a-l-ue-de-l-aider-a-mettre-fin-a-la-guerre-au-nom-des-enfants-1130231.aspx. [4] Conseil de l’Union européenne. 2020. « Relations de l’UE avec l’Ukraine ». Conseil de l’Union européenne. https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eastern-partnership/ukraine/. [5] Sych, Vitaliy. 2019. « Putin zaydet tak daleko, kak tolko smozhet. Intervyu glavreda NV Bitaliya Sycha nemeckoy Die Zeit ». Novoe Vremya, 14 décembre 2019. https://nv.ua/ukraine/politics/tramp-i-zelenskiy-mnenie-vitaliya-sycha-novosti-ukrainy-50058773.html. [6] Courrier international — Paris. 2020. « Pandémie. La première dame d’Ukraine hospitalisée en raison du Covid-19 » Courriel international, 16 juin 2020. https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/pandemie-la-premiere-dame-dukraine-hospitalisee-en-raison-du-covid-19. [7] Comission Européenne. 2020. « COVID- 19 : signature d’un accord d’assistance macrofinancière avec l’Ukraine pour limiter les répercussions de la pandémie ». Commission Européenne. 23 juillet 2020. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_20_1392. [8] International Monetary Fund. 2020. “IMF Executive Board Approves 18-month US$5 Billion Stand-By Arrangement for Ukraine”. IMF. 9 juin 2020. https://www.imf.org/en/News/Articles/2020/06/09/pr20239-ukraine-imf-executive-board-approves-18-month-us-5-billion-stand-by-arrangement. [9] Ruisseau, Nicolas. 2019. « La Russie et l’Ukraine échangent 35 prisonniers chacun, dont le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov » Le Monde, 7 septembre 2019. https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/07/la-russie-et-l-ukraine-vont-proceder-a-un-echange-de-prisonniers_5507609_3210.html. [10] Kauffmann, Sylvie. 2019. « La jeune Ukraine est minée par de vieux démons et ces démons ont un nom : les oligarques » Le Monde, 18 septembre 2019. https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/18/la-jeune-ukraine-est-minee-par-de-vieux-demons-et-ces-demons-ont-un-nom-les-oligarques_5511672_3232.html. [11] La France en Russie. 2020. « Un Sommet en format « Normandie » pour relancer le processus de paix dans le Donbass, en Ukraine ». Ambassade de France à Moscou. https://ru.ambafrance.org/Un-Sommet-en-format-Normandie-pour-relancer-le-processus-de-paix-dans-le. [12] Institut International de Sociologie de Kiev. 2020. « Ocinka dij vlady, epidemia koronavirusu ta reakciya na potochni podii ». KIIS. https://www.kiis.com.ua/?lang=ukr&cat=reports&id=955&page=1. [13] 112 Ukraine. « Ceasefire in Donbas lasts 100 days, combat losses decreased nine times ». 112 UA, 5 novembre 2020. https://112.international/conflict-in-eastern-ukraine/ceasefire-in-donbas-lasts-100-days-combat-losses-decreased-nine-times-56249.html

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