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Bons baisers de Bruxelles : la Macédoine du Nord & l’horizon européen.

Dernière mise à jour : 18 mars 2021


Par Maxime Belin, M. Sc. en science politique de l'Université de Montréal

Le Premier ministre de Macédoine du Nord Zoran Zaev et le Commissaire européen aux élargissements Johannes Hahn / © EPA-EFE — Olivier Hoslet

Pour le président de la Macédoine du Nord, Stevo Pendarovski, l’Union européenne est l’avenir de son pays. Uniquement cette perspective permettra d’éviter un retour à des régimes dictatoriaux, instables et sujets à des conflits civils dans les Balkans, même si cela fait quatorze ans que l’État macédonien est dans « la salle d’attente» [1]. Pourtant, le pays a fait de nombreux efforts depuis l’insurrection albanaise de 2001.

Lors de son indépendance de la Yougoslavie en 1991, la Macédoine se reconnaît comme État unique du peuple macédonien [2], ignorant de fait les autres ethnies (Albanais, Roms, Turcs pour les principales), qui représentent plus d’un quart de la population. Cela leur donne un sentiment d’être une population de « seconde classe » [3]. Ce même sentiment, quoique le terme de ressentiment soit plus exact, conduit les ethnies minoritaires à adopter une position de plus en plus sécessionniste pour se défendre [4]. Ainsi, les étudiants albanophones se regroupèrent dans une université qui fut fermée aussitôt par l’État macédonien [5]. D’importantes manifestations eurent lieu dans la ville de Tetovo (capitale non-officielle de la minorité albanaise), et ont été réprimées avec véhémence. Ceci a été les prémices de l’insurrection de 2001. Dans le même temps, la minorité albanaise se voyait renforcée par l’accueil de réfugiés albanais fuyants la guerre du Kosovo, installés sur le territoire macédonien par ordre de l’ONU [6].

C’est cet accueil qui sera l’élément déclencheur de l’insurrection albanaise. Au début de l’année 2001, la République de Macédoine, puisque tel est encore son nom, constata la résurgence de l’Armée de libération du Kosovo ou UÇK sur son territoire. Cette organisation albanaise ayant combattu pour l’indépendance du Kosovo revit par l’arrivée migratoire d’anciens membres et chefs. Ces derniers reprirent les armes et décidèrent d’attaquer les forces de l’ordre macédoniennes au nord du pays pour voler leur équipement [7]. Skopje répondit en fermant la frontière avec l’Albanie mais cela ne permet pas d’enrayer la montée en puissance de l’UÇK-M (ajout du M pour Macédoine) car la région montagneuse est propice à la guérilla et la population albanophone de Macédoine va faire preuve de complicité en soutenant les combattants. En mars 2001, l’insurrection prendra un tournant plus dramatique lorsque plusieurs soldats macédoniens furent tués près de Tetovo. De fait, l’armée macédonienne répliqua et tenta de reprendre les positions de l’UÇK-M dans le nord du pays, là où se trouve la minorité albanaise, sans y parvenir.


Une épreuve nécessaire pour une prise de conscience des spécificités du pays.

Cependant, conscient que les troubles pourraient avoir des répercussions bien plus importantes, l’État tentera d’apaiser les tensions. Pour ce faire, il va former un gouvernement d’union nationale en y intégrant deux représentants albanais [8]. Mais la sortie de crise n’est pas immédiatement trouvée et Skopje déclara l’état de guerre sur son territoire. Pour éviter un emballement sanglant, l’Union européenne décida d’intervenir avec des propositions concrètes tandis que les deux parties demandèrent à l’OTAN [a] de réagir. L’intervention va produire son effet puisqu’un cessez-le-feu sera signé le 5 juillet 2001. Sous encadrement onusien et otanien, les rebelles albanais seront désarmés et amnistiés d’après un accord que les principaux partis politiques macédoniens et albanais s’engagèrent à respecter. Cependant, de nouveaux affrontements éclatèrent à Tetovo et l’insurrection se réarma pour prendre de nouveau possession de la ville tandis que les militaires macédoniens lancèrent des représailles, causant au total une trentaine de morts [9].

Pourtant, l’UÇK-M s’engaga rapidement de nouveau dans un processus de désarmement sous présence militaire étrangère [b]. Les deux parties au conflit signèrent aussi les accords d’Ohrid [10] en août 2001 pour pacifier les relations entre les ethnies. De fait, les Albanais de Macédoine vont voir leur condition améliorée. Au travers de cet accord, leur langue est reconnue comme officielle dans toutes les municipalités où ils seront présents à hauteur de 20%, les effectifs de police doivent comprendre 23% d’Albanais, les députés de la minorité auront la possibilité d’amender toute loi les concernant, les lois devront être publiées sous les deux langues et pour reprendre une demande initiale, une université albanaise est créée à Tetovo [11][c].


La Macédoine du Nord vacille entre vieux démons, défis et progrès.

A posteriori, et à l’approche des 20 ans de l’insurrection albanaise, la situation de la Macédoine du Nord semble s’être apaisée. En effet, sans affirmer que l’insurrection a pu avoir des bénéfices, son déclenchement à peine dix ans après son indépendance de la Yougoslavie et le fait que les deux parties ont maintenu un canal de négociation ont permis à la Macédoine de se concentrer sur le développement du pays. Bien entendu, le pays n’est pas entièrement pacifié, il existe encore des inégalités et une xénophobie réciproque. Sans faire un inventaire à la Prévert, les exemples suivants sont significatifs : seulement 25% des enfants albanais ont accès à leur langue, des groupes albanais mènent encore des guérillas dans les montagnes du nord du pays ou lors de la victoire du club de handball du Vardar, les supporters macédoniens ont entamé des chants racistes et anti-albanais [12]. Mais le vrai défi pour la Macédoine est la fuite de ses étudiants, plus de 70% d’entre eux voient leur avenir loin de leur pays.

Pourtant, il y a des efforts faits par Skopje. La Macédoine du Nord pense que son avenir se joue à l’Ouest, et est donc candidate à l’UE depuis décembre 2005. Pour ce faire, le pays a mené des réformes politiques et économiques [13] pour être en conformité avec les critères de Copenhague et recevoir une aide au développement. En particulier, le pays s’est engagé à augmenter le budget alloué à l’éducation et à créer une justice indépendance et équitable, sans toutefois que les réformes donnent pleine satisfaction. Le point culminant de ces réformes concerne le conflit avec la Grèce au sujet du nom de la Macédoine [14]qui fut réglé par la signature de l’accord de Prespa en juin 2018 avec le changement de nom du pays en République de Macédoine du Nord pour se différencier de la région de Macédoine grecque. Ce changement de nom devait être le point culminant d’un changement positif pour intégrer l’UE.

Néanmoins, la candidature s’est heurtée à un nouveau refus. Malgré des progrès objectifs pour ce pays de deux millions d’habitants qui arrive à faire cohabiter la majorité macédonienne orthodoxe [15] et la minorité albanaise musulmane [16], la décision pourrait avoir des conséquences concrètes. Premièrement, le président Pendarovski a rappelé que la nature a horreur du vide et que les tergiversations de l’Union européenne permettront à d’autres puissances de s’établir dans le pays pour y développer des réseaux, des liens économiques et politiques. Bien entendu, au vu de la proximité géographique et historique, la Turquie et la Russie [17] sont les deux puissances qui pourraient tirer leur épingle du jeu en amenant cet Etat balkanique dans leur sphère d’influence. En effet, la Macédoine du Nord a connu de nombreuses occupations slaves et ottomanes [18] qui permettent à ces deux États de faire appel à un imaginaire et à l’Histoire pour justifier leur intérêt. Cependant, le président macédonien a rappelé aussi que la Chine avait des visées sur les Balkans [19] et que la Macédoine du Nord pourrait être une porte d’entrée intéressante, sans que son Etat puisse avoir les moyens de réagir aux offensives économiques et culturelles chinoises. Deuxièmement, ce refus de l’Union européenne renforce les prétentions de politiciens véreux en Macédoine du Nord qui professent un discours autoritaire, renforçant une instabilité politique [d], une justice dépendante, une presse muselée et une corruption généralisée. Pour exemple, le Premier ministre Zoran Zaev actuel, qui devra démissionner avant le 3 janvier 2020, est soupçonné de collusion avec un procureur [20] et l’ancien président du gouvernement Nikola Gruevski fut remplacé à la suite d’affaires de corruption, d’abus de pouvoir et d’écoutes illégales. À noter que les partis de la minorité albanaise ne sont pas exempts d’affaires semblables, ce qui pourrait entraîner une baisse de participation des Albanais à la vie politique du pays alors que la pleine citoyenneté [21] est une condition sine qua non à une intégration et à une entente avec Skopje. Troisièmement, et c’est sans doute le point le plus important pour l’avenir de la Macédoine du Nord, c’est que sans perspective européenne avec ce que ça comporte de mobilité d’emplois et d’éducation, la fuite des diplômés nationaux continuera. Des estimations donnent plus de 500 000 personnes qui ont quitté le territoire depuis 20 ans [22], dont une majorité de jeunes, pour se créer un avenir ailleurs.


Une occasion historique gâchée ?

En conclusion, le refus de l’Union européenne, qui est de fait le refus unique de la France, pourrait avoir des conséquences néfastes pour un Etat qui se construit sur le modèle occidental, tentant de passer outre ses rancoeurs passées afin que ses deux millions d’habitants puissent avoir accès à la croissance, à l’éducation, à la santé. En bref, à ce que le modèle européen souhaite exporter. Paris a fait savoir qu’elle n’était pas contre l’adhésion in fine, mais qu’il fallait revoir le processus de négociation en amont. Il n’est pas certain que l’explication française apaise l’amertume de Skopje, alors que l’État croyait déjà obtenir un feu vert en juin 2018. Si la Macédoine du Nord s’était engagé dans des réformes souhaitables, bien que parfois aux résultats contestables, c’était en vue d’une perspective d’adhésion. De fait, il y a une crainte de voir le dynamisme macédonien brisé par cette décision. De voir l’euphorisme européen dans le pays, et plus généralement dans la région, s’éffondrer. Pour l’avenir du pays, il n’y a plus désormais qu’à espérer que ce refus ne se transforme pas en désordre politique dans la région, et que ce ne soit qu’une partie remise pour la Macédoine du Nord qui n’aspire par ses réformes qu’à être un État de plus au sein des États européens.

Qui plus est, dans le même temps, l’Albanie pensait aussi obtenir un accord d’adhésion mais le Danemark comme les Pays-Bas s’y sont opposés. Imaginez le symbole fort qu’aurait pu être une adhésion de la Macédoine du Nord et de l’Albanie à l’aube des vingt ans de l’insurrection albanaise — sans doute que l’Union européenne a laissé passer une occasion importante de montrer son intérêt pour les Balkans.



 

Bibliographie


Notes [a] La Macédoine du Nord va devenir le 30ème pays membre de l’Alliance atlantique. Le 6 février 2019, le protocole d’adhésion fut décidé par les Etats membres. [b] La présence militaire dissuasive se formalisera sous le nom de Task Force Fox. Puis l’opération Allied Harmony (OTAN) et EUFOR Concordia (UE) se succéderont jusqu’en 2003 pour garantir la stabilité. [c] Une seconde université en langue albanaise sera créée sur deux campus (Tetovo et Skopje) sous le nom d’Université de l’Europe du Sud-Est en 2004. En regroupant les deux universités, le nombre d’étudiants s’élèvent à 20 000. [d] Excepté le mandat de 10 ans de Nikola Gruevski (2006–2016) à la tête du gouvernement, la Macédoine du Nord a connu 9 premiers ministres depuis 2000. Ce qui traduit inévitablement une certaine instabilité gouvernementale avec de courts mandats.


Références [1] Interview du président Pendarovski, propos recueillis par la journaliste Marie Verdier, La Croix, 14 novembre 2019. https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Macedoine-Nord-Cela-fait-14-ans-nous-sommes-salle-dattente-lUE-2019-11-14-1201060396 [2] Ulf Brunnbauer. 2004. « Historiography, Myths and the Nation in the Republic of Macedonia. » dans (Re)Writing History. Historiography in Southeast Europe After Socialism. Sous la direction de Ulf Brunnbauer, 165–200 Münster: Lit-Verlag, p. 165–200. [3] Olivier Deslondes. 1999. « Les Albanais de Macédoine : une minorité incontournable. » Dans De la question albanaise au Kosovo. Sous la direction de Jean-Marie de Waele et Nik Gjeloshaj, 109–122. Bruxelles : Complexe. [4] Ulf Brunnbauer Ulf & Ragaru, Nadège, « Les partis albanais en République de Macédoine : le cercle vicieux de l’ethnopolitique (1990–2006) », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 38 n°4. (2007) : 99. DOI : https://doi.org/10.3406/receo.2007.1864 [5] Site officiel de l’Université de Tetovo [6] Michael Barutciski, « Peut-on justifier l’intervention de l’OTAN au Kosovo sur le plan humanitaire ? Analyse de la politique occidentale et ses conséquences en Macédoine », Canadian Yearbook of International Law vol. 38 (2001) : 130–135 [7] Georges Castellan. Un pays inconnu : la Macédoine (Crozon : Arméline, 2003) : 104 [8] Ibid. [9] Ibid., 97 [10] Chiclet Christophe, « L’ambiguïté des accords d’Ohrid », Confluences Méditerranée, 3 n°62 (2007) : 105. DOI : 10.3917/come.062.0101. [11] Ibid. [12] France24, « Macédoine du nord: débordements racistes après le sacre du Vardar en handball » (France24, 2019) [13] Ausrine Armonaite, « The Republic of North Macedonia : Political change, NATO Accession and economic transition », Economic and Security Committee, NATO Assembly Parliamentary (12 octobre 2019) : 3–6 [14] Jean-François Gossiaux, « Les deux passés du Kosovo », Socio-anthropologie n°04 (1998), DOI : 10.4000/socio-anthropologie.130 [15] Goran Sekulovski, « Qu’est-ce qu’être macédonien ? Nation, territoire et orthodoxie en République de Macédoine », Géocarrefour, vol. 89/3 (2014) : 197 [16] Duncan M. Perry, « Une crise en gestation ? La Macédoine et ses voisins », Politique étrangère vol. 59 n°01 (1994) : 180–181 [17] Ausrine Armonaite, Op. Cit., 10 [18] Andrew Rossos, Macedonia and the Macedonians: A History (Stanford : Hoover Press, 2008) [19] Chiclet Christophe, « Les Balkans et la Chine : les intermittences d’une longue histoire », Confluences Méditerranée, 2 n°109 (2019) : 141. DOI : 10.3917/come.109.0135. [20] Courrier des Balkans, « Macédoine du Nord : le cercle de la corruption se resserre autour du Premier ministre Zaev » (Courrier des Balkans, août 2019) [21] Francesco Ragazzi et Balalovska, Kristina, « Diaspora Politics and Post-Territorial Citizenship in Croatia, Serbia and Macedonia », CITSEE Working Paper, University of Edinburgh (2011) : 21 [22] Interview du président Pendarovski, op. cit.

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