Par Albert Morin, candidat à la maîtrise en histoire de l'Université du Québec à Montréal
Dans son discours d’investiture prononcé le 20 janvier 1969, le président nouvellement élu des États-Unis, Richard Nixon, déclare que pour la première fois, le temps resterait désormais du côté de la paix. Il énonce qu’il en est ainsi, car les peuples du monde désirent la paix, et les dirigeants craignent la guerre. Il prétend que le gouvernement américain sera dorénavant à l’écoute, et qu’après une période de confrontation avec l’Union soviétique, les États-Unis entraient désormais dans une ère de négociations [1].
Nixon demeure très explicite et affirme que son administration désire le changement et le dialogue au sein du concert des nations. Cette série de trois articles n’entend pas couvrir les origines de la Guerre froide, mais se concentre plutôt sur un épisode particulier du conflit qui a marqué la seconde moitié du XXe siècle; la détente. En Union-soviétique, l’arrivée au pouvoir de Léonid Brejnev en 1964, et l’élection de Richard Nixon en 1968 aux États-Unis perturbèrent l’ordre établi, et offrirent un changement de paradigme dans l’élaboration de politiques intérieures et étrangères aux États-Unis et en Union soviétique. Une analyse de l’historiographie occidentale de la Guerre froide, et par le fait même de la détente nous permet de déceler plusieurs hypothèses clarifiant l’étendue de cet épisode. Des questionnements s’imposent. Pourquoi parle-t-on d’une détente? Quels étaient les changements structurels au sein des relations diplomatiques américaines et soviétiques ? Quels étaient les acteurs individuels, organisationnels et étatiques ?
Les deux premiers articles de cette trilogie se pencheront respectivement sur une analyse des fondements idéologiques de la politique étrangère américaine, puis soviétique durant la détente. Finalement, le dernier article présentera les échanges intellectuels et académiques entre les universitaires de Moscou et de Washington.
Ce premier article de la série Détente tient pour objectif de brosser un portrait des études menées sur la relation entre les États-Unis et l’Union soviétique durant cette période. Plus précisément nous analyserons les bouleversements qu’apporta l’administration Nixon à la conception idéologique des relations étrangères.
Aux États-Unis, l’année 1968 constitue une année de rebondissements et d’évènements marquants. L’historien américain Walter LaFeber l’énonce bien. Pour ce dernier, la détente aurait débuté en 1966–1967 lorsque l’armée américaine enregistre ses premiers revers au Vietnam. Elle ne se serait consolidée qu’en 1971–1972, au moment où les bombardiers américains écrasent les villages d’Asie du Sud-Est [2]. La détente éprouve aussi ses premiers revers en 1969. L’offensive du Têt au Vietnam brise d’une part les espoirs d’une paix à court terme pour les Américains. Les tumultes au niveau domestique provoquent le retrait de Lyndon Johnson de la course à l’investiture démocrate et Richard Nixon renait tel un phénix de ses cendres aux élections de novembre 1968. À l’étranger, le Printemps de Prague jette une douche froide sur les états satellites de l’URSS qui contemplaient une possible collaboration à l’Ouest.
En URSS, Brejnev, en envahissant la Tchécoslovaquie, était disposé à sacrifier sa propre détente. Cet épisode démontre bien l’étendue de sa peur quant au désordre et à la libéralisation du bloc de l’est. Il ne faut pas non plus négliger les politiques létales du Politburo. La faction pro-interventionniste du Parti prenait de l’importance et menaçait son pouvoir. Pour Richard Pipes, soviétologue américain, les Soviétiques auraient lancé un processus de détente dès 1956 pour deux raisons. La première se tient dans une optique de laisser la population souffler, elle-même épuisée de 25 années de stalinisme et d’une guerre mondiale cataclysmique. En second lieu, le régime devait sortir de son isolation provoquée par les politiques de Staline [3].
Le containment
Les doctrines jouent un rôle prépondérant dans la nature des relations et des politiques domestiques et étrangères d’un régime. Il va sans dire que la Guerre froide n’en fait pas exception. Force est de constater qu’à la lumière de l’historiographie, le concept de containment [4] a maintes fois évolué au cours du conflit. L’ouvrage Strategies of Containment de l’historien militaire John Gaddis est fort pertinent. Ce dernier affirme en effet que l’approche de Washington quant aux politiques étrangères depuis 1945 était resté de l’ordre du défensif. Les dirigeants américains ont toujours perçu leurs actions à titre de réponse, plutôt que d’imposer des défis face à l’ordre international. Le concept de containment du communisme, loin d’être monolithique à jamais, devient alors malléable selon les intérêts propres de l’administration qui l’applique. Dans l’étude Nixon in the world, American Relations, 1969–1977 édité par Fredrik Logevall et Andrew Preston, les chercheurs apportent une comparaison intéressante entre les États-Unis de 1968 et la Grande-Bretagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Bien que le Royaume-Uni fût plus puissant militairement qu’au siècle précédent, du moins en puissance de feu, l’élément déclencheur de son dépassement n’était pas le déclin de son pouvoir, mais le déclin de son statut au sein des relations entre les grandes puissances. C’est ce à quoi, selon Logevall et Preston, les États-Unis feraient face à l’avenir [5].
Lorsque Henry Kissinger, alors conseiller à la sécurité nationale du président Nixon, entre à la Maison-Blanche en janvier 1969, une toute nouvelle dimension d’envergure s’imposa au sein du concept même de politique étrangère américaine. À cette dimension, Gaddis inscrit deux points. Nixon propose une combinaison unique de rigidité idéologique et de pragmatisme politique. Le fait qu’il ait été un anticommuniste farouche au fil des ans, et surtout au début de sa carrière politique des années 1950, imposait à la flexibilité l’aura de la diplomatie plutôt que de la mollesse. Un élément majeur de la discontinuité se trouve dans l’adoption du réalisme ou de la realpolitik. Logevall et Preston abondent dans le même sens de cette thèse. Ils écrivent qu’une rupture entre l’idéalisme des administrations précédentes qui défendaient ardemment les idéaux, les valeurs et le progrès américain était désormais consommée. Le biographe de Kissinger, Walter Isaacson, retrace quant à lui que le président américain, et son conseiller à la sécurité nationale étaient adeptes d’une realpolitik sans contraintes morales [6]. En histoire de la diplomatie, la pensée réaliste du XXe siècle désigne les rapports diplomatiques et stratégiques qu’entretiennent entre eux les États- souverains. Ces rapports sont caractérisés par la rivalité, d’une part parce que chaque État vise naturellement et constamment à défendre et à accroître sa puissance politique et militaire. La motivation des acteurs subsiste dans leurs intérêts et les fondements de la stabilité internationale qui se trouve dans l’équilibre des puissances [7]. La moralité est un élément important des fondements politiques et idéologiques du mariage Nixon-Kissinger.
Il est capital de mentionner que c’est au moyen de lectures au sujet d’Otto Von Bismarck et de Klemens Von Metternich que Kissinger put construire les fondements de sa pensée. Isaacson relate un passage où Kissinger fait allusion à Bismarck. Il dit: « He knew how to restrain the contending forces, both domestic and foreign by manipulating their antagonisms » [8]. Cette réflexion allait s’intégrer parfaitement dans l’alignement des États-Unis sur la question de la relation triangulaire entre la Chine, les États-Unis et l’URSS. Inhérente à la question de l’intérêt national avant tout, Isaacson avance que les États-Unis avaient lié leurs intérêts à leurs idéaux. Cet énoncé trouvait tout son sens durant la Guerre froide, car ce conflit était une croisade morale, ainsi qu’une lutte pour la sécurité [9].
De la bipolarité à la multipolarité
Dans le meilleur intérêt des États-Unis, Kissinger encourageait la mise en marche du virage entre le monde bipolaire et multipolaire. Ce qu’il fallait pour le conseiller à la sécurité nationale, c’était d’accepter le monde tel qu’il était. De surcroît, les conflits et les désaccords étaient inévitables. En principe, les menaces pouvaient déterminer les intérêts. Ce que désiraient Nixon et Kissinger dans un monde multipolaire était d’arriver à une conception d’intérêts indépendants des menaces et ensuite, de définir les menaces en termes d’intérêts [10]. En ce qui concernait le Vietnam, Gaddis rajoute que Nixon et Kissinger critiquèrent l’administration Kennedy-Johnson qui aurait fait de l’intervention militaire un symbole de pouvoir américain, et de son engagement à travers le monde. Afin de se concentrer plutôt sur les relations en terme global, Nixon a quant à lui réduit le Vietnam à sa perspective propre, c’est-à-dire une petite péninsule aux abords d’un grand continent. L’URSS à elle seule pouvait troubler la balance du pouvoir sur laquelle Nixon et Kissinger basaient les intérêts vitaux des États-Unis.
En affirmant que dans un futur rapproché, le pouvoir économique serait la clé de tous les autres pouvoirs, Nixon se concentra à la création d’une balance entre les États-Unis, l’URSS, L’Europe de l’Ouest, le Japon et la Chine. Ce qu’entend Kissinger par détente, c’est qu’il faille essayer de dépasser l’équilibre des pouvoirs pour se diriger vers un nouvel ordre mondial dans lequel la stabilité serait atteinte. La manière d’y arriver serait non pas par une confrontation d’intérêts concurrents, mais par la coexistence et la coopération [11]. Walter Isaacson apporte une nuance en lien à la question des intérêts. Il dit: « America, the United States, has linked its interests to its ideals. This was especially true during the Cold War which was a moral crusade as well as a security struggle» [12]. Toujours en communion avec la vision pluraliste de Kissinger, Richard Pipes cite dans son ouvrage US-Soviet Relations in the Era of Détente un passage du roman Août 1914 d’Alexandre Soljenitsyne : « Why does understanding always lie beneath authority ?» [13]. Pipes y répond que la compréhension concerne ce qui doit être fait tandis que l’autorité se préoccupe des moyens.
L’altérité
Un autre changement important se situe dans l’Altérité, c’est-à-dire dans la perception de l’Autre. Dans les administrations précédentes, la dimension idéologique prévalait, c’est-à-dire que les comportements de l’adversaire étaient prédits selon l’idéologie du régime. Nixon et Kissinger voulaient désormais juger un pays par ses actions, et non selon leur idéologie nationale. C’est entre autres par ce changement de paradigme que le schisme sino-soviétique, ainsi que les rapprochements sino-américains subséquents puisent leur essence. Gaddis parle de l’importance d’exploiter les fissures du monde communiste, concept élaboré durant les années 1940. De plus, il présente les ressemblances avec l’approche d’un certain George Kennan, concepteur des assises de la doctrine Truman durant la Deuxième Guerre mondiale.
Kissinger et Kennan adhéraient à la conception multidimensionnelle du pouvoir mondiale. Les deux insistaient sur le fait que les moyens étaient limités, et qu’une distinction s’imposait entre les intérêts vitaux et périphériques. Kissinger et Kennan voyaient l’Union soviétique et non le communisme international comme la menace principale de ces intérêts, mais plus précisément, ils croyaient dans le fait de laisser la conduite de la politique étrangère dans les mains d’une élite [14]. Walter LaFeber, soutiens quant à lui que pour Nixon, les Soviétiques pouvaient être contenus. Non pas par une course aux armements effrénée ou par des engagements mondiaux, mais bien par un accord diplomatique [15].
Le linkage
Au moment où Richard Nixon intègre la Maison-Blanche en janvier 1969, L’URSS approchait d’une relative parité avec les États-Unis en ce qui a trait aux missiles de longue portée. Dans un même esprit de discontinuité des politiques étrangères, la nouvelle mentalité de l’administration épousait l’idée que pour la course aux armes stratégiques, la suffisance était désormais de mise plus que la supériorité. De surcroît, les Soviétiques atteignaient la parité militaire au moment où l’opinion publique américaine plongeait dans un antimilitarisme. À ce sujet, John Gaddis note que dans le cas de Kissinger, la clé de la sagesse résidait dans la vertu de savoir quand s’arrêter dans les dossiers d’affaires étrangères [16].
Dès lors, nous avons mentionné dans le dernier point un changement drastique de la mentalité américaine quant aux relations internationales. La stratégie du linkage entra en scène afin qu’au centre du concept de négociation et de recherche d’un accord par Nixon et Kissinger, tel qu’évoqué plus haut, les dossiers devenaient interreliés. La préconception de la bureaucratie américaine qu’avaient Nixon et Kissinger allait marquer profondément leur cynisme et l’obscurité de leurs prochaines démarches. Gaddis mentionne que pour ces derniers, il fallait isoler la bureaucratie de leur processus de décision et de construction politiques.
« Instead, they resolved (…) to isolate the bureaucracy from the policy-making process almost entirely, centralizing decisions to an unprecended degree in their own hands» [17].
Les historiens s’entendent sur ce fait. Nixon, en particulier, était persuadé que des agences fédérales comme la CIA ou le Département d’État étaient infiltrés par les « Ivy League liberals » et les « East Coast establishement democrats ». Isaacson ajoute que dans le sens le plus grossier, il fallait utiliser les accords commerciaux ou bien les accords sur les armes comme levier de négociation afin d’extraire l’aide des Soviétiques dans le marasme du Vietnam [18]. Isaacson rajoute que le concept d’interdépendance des dossiers propre au linkage s’inscrit pleinement dans la visée obscurantiste du mariage Nixon-Kissinger qui, comme la thèse de sa biographie l’avance, La thèse de maintient la balance du pouvoir en l’orientant vers le secret, et les manœuvres d’arrière-cours, le fameux backchannel. Dans l’esprit de Nixon et de Kissinger, cette méthode était parfois nécessaire afin de mener une diplomatie réaliste au sein d’une démocratie.
La bureaucratie américaine ne pouvait adhérer aux prérequis du linkage, car elle « compartimentalisait » les dossiers. Au sujet de l’attitude solitaire des deux hommes, Isaacson écrit : « Nixon and Kissinger bonded together both as co-conspirators against the bureaucracy and a hostile world » [19]. Il rajoute qu’au tournant de l’année 1969, la bureaucratie de la sécurité nationale américaine avait été minée de sa créativité et de sa crédibilité. Elle avait ignoré un des évènements géopolitiques les plus importants des années 1960, la rupture sino-soviétique [20]. Impardonnable selon lui, Nixon allait dorénavant contourner la bureaucratie plutôt que la confronter.
Gaddis nous rappelle que le but de cette stratégie était de créer une structure de paix. La quête était maintenant de changer la conception soviétique des relations internationales. C’est ici que la thèse de l’historien Richard Pipes dont l’œuvre polémique U.S.-Soviet Relations in the Era of Détente, devient intéressante. Le soviétologue n’entre pas tout à fait en conflit avec la conception de Gaddis. La face atypique de sa théorie réside dans son interprétation du point de vue soviétique. À la base, les Américains avaient tendance à voir la paix comme un état normal, occasionnellement interrompu par la guerre. Cette guerre devait être terminée le plus vite possible afin de retourner à un état de normalité. Historiquement, l’URSS croyait en une logique d’encerclement des démocraties bourgeoises et des États impérialistes, et en quoi la paix n’était qu’un interlude entre les guerres, un temps pour se réarmer et planifier la prochaine [21].
Comme nous l’avons mentionné plus haut, la thèse de Pipes affirme que devant un tel constat, les Américains ont interprété de manière erronée la stratégie soviétique de la détente. Les stratégies sous-jacentes des politiques militaires et étrangères de l’URSS trouvent leurs racines profondément ancrées dans l’histoire russe. Pipes critique Nixon en affirmant qu’il ne connait pas le régime russe ou communiste, et que sa plus grande faute est de croire que les Soviétiques vont changer. Il présente une analyse intéressante du vocabulaire utilisé par Nixon. Ce dernier semble persuadé que les Soviétiques vont changer : « They will ». De plus, le temps de verbe du discours change du conditionnel à l’impératif [22]. Gaddis qualifiait quant à lui de condescendante l’idée d’entraîner l’URSS à répondre de manière prévisible à une succession de stimulus positifs et négatifs.
Pipes évoque deux erreurs spécifiques à la pensée de Nixon. D’une part, le système soviétique est, et a toujours été distingué par son pragmatisme absolu. Historiquement, il parle des concessions incroyables acceptées par Lénine afin de signer le traité de Brest-Litovsk en 1917. Ces concessions ont été acceptées dans le simple but de protéger et d’accroître le pouvoir de son régime [23]. La deuxième erreur est que la vision de la balance du pouvoir chez les Soviétiques n’est pas du tout la même que celle des États-Unis ou des autres pays occidentaux. En plus du militaire qui, selon Pipes, n’est considéré qu’exclusivement par l’Ouest, l’URSS conçoit aussi dans sa balance les facteurs économiques, sociaux et psychologiques. Il rajoute que l’Union soviétique ne peut être satisfaite avec la politique de la balance du pouvoir de Nixon et qu’un désir d’y faire croire à un accord est impossible. Le régime soviétique prétend même qu’un tel rapprochement soit dangereux pour la stabilité mondiale. Une stratégie pluraliste et un monde pentagonal, envisagé par Nixon, confrontent l’URSS avec une perspective de guerre sur deux fronts, soit contre deux blocs. D’un côté l’Europe occidentale de concert avec les États-Unis et de l’autre, la Chine de concert avec le Japon [24].
En fait, le linkage était une manière d’assurer que la politique étrangère reflétait la réalité. Par exemple, Isaacson présente qu’il serait irréaliste de prévoir de grands progrès dans les discussions sur le contrôle des armes au même moment d’une résurgence des tensions entre les Soviétiques et Américains au sujet d’une guerre régionale comme le Vietnam. Le premier test du linkage fut l’envoi secret de Cyrus Vance, homme d’État démocrate sous la présidence de Johnson, à Moscou, épisode que relate Walter Isaacson dans sa biographie. Henry Kissinger était convaincu que le conflit au Vietnam se conclurait par un accord avec l’URSS. L’objectif était de faire une offre englobante soutenue par une menace sérieuse. En somme, sans même informer le Département d’État, l’objectif de l’envoi de Vance était d’arracher le processus de négociation au Département d’État et de son secrétaire William Rogers, marionnette mise en place par Nixon et Kissinger, mais aussi de cimenter la théorie du linkage. L’accord devait comprendre un cessez-le-feu immédiat, ainsi qu’un retrait mutuel des troupes américaines et nord-vietnamiennes. En prime, une solution politique qui inclurait le Front de Libération du Sud Vietnam dans le processus de gouvernance du sud. Il est à noter que l’implication de FLSV avait été jusqu’à maintenant hors de toute négociation par les États-Unis. La menace en viendrait aux actions. Dans le cas où Hanoï n’entérinerait pas son accord, de fortes représailles militaires seraient mises en place par les Américains.
L’héritage
En somme, le discours de démission du président Richard Nixon, prononcé le 8 août 1974, évoque la fin de la plus longue guerre qu’ait connue l’Amérique. Le président déchu explique notamment que dans le but de rechercher la paix durable dans le monde, les objectifs è atteindre sont encore plus ambitieux et plus difficiles. Il exhorte la population à achever une structure de paix afin que les peuples de toutes les nations disent de cette génération, qu’elle a non seulement mis fin à la guerre, mais qu‘elle a par le fait même empêché de nouvelles guerres [25]. À la lumière de ce discours, quelque peu sépulcrale, il est nécessaire de prendre un certain recul et se questionner sur ce bilan.
À la suite du présent article, nous pouvons d’emblée conclure que le discours de démission du président ne relève pas de la réalité. L’embrasement du Moyen-Orient et de certains pays d’Afrique ainsi que la prise de Saïgon en 1975 viennent clôturer un chapitre sombre, quoiqu’intéressant de la diplomatie américaine. Il est clair d’une part que le concept de containment devait se métamorphoser. Les auteurs présentent bien à quel point les changements de 1968 mettent la table pour ce genre de passage entre une politique de la confrontation à la collaboration. Toutefois, à travers le prisme du dialogue, le mariage Nixon-Kissinger le voyait de leur propre chef, c’est-à-dire dans un esprit de secret et d’obscurité. Devant une machine bureaucratique qui ne leur plaisait guère, le tandem a choisi de construire ses propres coulisses et de développer ses propres relations.
Les limites de la stratégie de linkage et de la doctrine Nixon sont claires et précises. Certes, le président Nixon a développé des liens avec la Chine et a rencontré Leonid Brejnev quelques fois, le résultat est que les États-Unis ont d’une part grandement souffert de la guerre du Vietnam et de sa sortie, et ont perdu des plumes quant à leur statut sur l’échiquier mondial. La comparaison que font Logevall et Preston avec la Grande-Bretagne de l’après-guerre est pertinente et la « décennie » de la détente semble confirmer ce statut.
Pour Logevall et Preston, les deux penchants de l’échiquier politique, la droite et la gauche ont critiqué les méthodes de Nixon et Kissinger. D’une part la droite, plus tard dirigée par Ronald Reagan , les a critiqués, car selon elle, Nixon et Kissinger s’étaient rapprochés de régimes autoritaires comme l’URSS et la Chine, et en quoi ils ne comprenaient rien aux valeurs fondamentales américaines telle la liberté. Pour Kissinger, le réalisme en soi prétend atteindre une fin idéaliste. Il déclare : « The necessity of peace is itself a moral imperative » [26].
Bibliographie
[1] Yale Law School, First Innaugural Address of Richard Milhous Nixon, 2008.
[2] LAFEBER, Walter. 1997. America, Russia, and the Cold War, 1945–1996 eighth edition, New York, McGraw-Hill, p. 252.
[3] PIPES, Richard. 1981. U.S.-Soviet Relations in the Era of Détente, Boulder, Westview Press, p.53.
[4] Une traduction fidèle du mot containment en français serait l’endiguement. Cependant, nous utiliserons le terme anglophone pour ce texte, et les articles suivants.
[5] LOGEVALL, Fredrik & PRESTON, Andrew. 2008. Nixon in the world, American Foreign Relations, 1969–1977, New York, Oxford University Press, p. 4–5.
[6] ISACSON, Walter. 2005. Kissinger, A Biography, New York, Simon & Schuster Paperbacks, p. 139.
[7] ÉTHIER, Diane. 2010. Introduction aux relation internationales, Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal,.
[8] ISACSON, Walter. 2005. Kissinger, A Biography, New York, Simon & Schuster Paperbacks, p. 139.
[9] Ibid., p. 12
[10] John L. Gaddis, Strategies of Containment. A critical appraisal of American National Security Policy during the Cold War, New York, Oxford University Press, 2005, p. 283.
[11] Ibid., p. 281.
[12] ISACSON, Walter. 2005. Kissinger, A Biography, New York, Simon & Schuster Paperbacks, p. 12.
[13] PIPES, Richard. 1981. U.S.-Soviet Relations in the Era of Détente, Boulder, Westview Press, p.47.
[14] GADDIS, John L. 2005. Strategies of Containment. A critical appraisal of American National Security Policy during the Cold War, New York, Oxford University Press, p. 305.
[15] LAFEBER, Walter. 1997. America, Russia, and the Cold War, 1945–1996 eighth edition, New York, McGraw-Hill, p. 258.
[16] GADDIS, John L. 2005. Strategies of Containment. A critical appraisal of American National Security Policy during the Cold War, New York, Oxford University Press, p. 277.
[17] Ibid., p. 299.
[18] ISACSON, Walter. 2005. Kissinger, A Biography, New York, Simon & Schuster Paperbacks, p. 166.
[19] Ibid., p 140.
[20] Ibid., p. 152
[21] PIPES, Richard. 1981. U.S.-Soviet Relations in the Era of Détente, Boulder, Westview Press, Préface.
[22] Ibid., p. 52.
[23] Idem.
[24] Ibid., p. 54.
[25] PBS, President Nixon’s Resignation Speech, date de mise en ligne inconnue.
[26] LOGEVALL, Fredrik & PRESTON, Andrew. 2008. Nixon in the world, American Foreign Relations, 1969–1977, New York, Oxford University Press, p. 9–10.
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